Astroturfing, bulles de filtre, biais cognitifs, fake news, drumbeat, manipulation des images, propagande… Tous ces termes relatifs à la guerre de l'information seront chaque semaine décryptés, mis en relief, sur euradio, pendant cinq minutes, pour donner des clefs de compréhension à tous ceux qui sont perdus dans la jungle de la désinformation.
Bonjour Louise ! Aujourd’hui j’aimerais que vous nous parliez de cette tendance qui touche de plus en plus de médias et de personnalités ces dernières semaines : elles quittent le réseau Twitter / X. Qu’en pensez-vous à titre personnel ?
Il y a effectivement une fuite massive du réseau X en ce moment. Les journaux comme The Guardian, la Vanguardia, Ouest France, les personnalités publiques comme la journaliste Salomé Saqué, les organisations comme GreenPeace, la tendance est forte.
Tous le disent : ils sont préoccupés face à la désinformation, le harcèlement et la violence verbale qui font loi au quotidien sur le réseau. Si je reprends un par un leurs arguments, on peut notamment lire que Ouest France refuse de cautionner un environnement où la régulation est insuffisante pour les contenus problématiques, tels que la désinformation et les discours haineux.
The Guardian a dit, je cite : « nous pensons que les avantages d’être sur X sont maintenant dépassés par les inconvénients et que les ressources pourraient être mieux utilisées pour promouvoir notre journalisme ailleurs ».
La Vanguardia dénonce le manque de modération, faisant notamment suite à la vague de désinformation ayant accompagné les terribles inondation dans la région de Valence.
Salome Saque explique quant à elle que les fake news et les manipulations politiques dominent.
Mais pourquoi ce phénomène arrive t’il maintenant ?
Ce n’est pas la première fois à vrai dire. C’est la deuxième vague de départ, la première avait déjà fait un peu de bruit en 2023, lorsque Twitter a été racheté par Elon Musk pour la modique somme de 44 milliards de dollars. Mais aujourd’hui, il semblerait que le mouvement soit plus important, et selon moi, les conséquences plus graves, car il y a cette fois ci une dimension politique.
Du fait du lien entre Elon Musk et Donald Trump ?
Oui absolument. Les décisions de départ ont pris une ampleur phénoménale après l’élection de Trump et les nouvelles selon lesquelles Elon Musk aurait un poste dans sa future administration.
Je m’explique. Quelques personnalités l’ont clairement dit. Par exemple, David Chavalarias qui a beaucoup travaillé sur l’analyse de la désinformation sur Twitter, a carrément demandé à bien choisir le timing : rester sur le réseau social jusqu’à l’investiture de Trump, puis quitter massivement.
Même chose pour Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy watch. Il disait récemment dans une interview sur France 24 que quitter Twitter en ordre dispersé c’était favoriser la politique de la chaise vide qui n’aura aucune utilité. Et disait qu’il fallait le faire « tous d’un bloc ». Il reproche au réseau son appartenance à un homme engagé à l’exrême droite et le manque de modération des contenus notamment haineux.
Cela fait donc de ce départ un départ politique, et de politique américaine ce qui est un peu surprenant.
C’est un problème selon vous de quitter le réseau pour des raisons politiques ?
Non, quelque part je comprends, mais je trouve ça dommage. Dommage pour deux raisons. La première, c’est qu’on risque d’amplifier le phénomène de bulle de filtre dont je vous parlais déjà lors de nos derniers échanges. Le réseau X est encore suivi par 250 millions de personnes dans le monde. Il est toujours considéré par certains médias comme le réseau social le plus ancien (2006) et le plus utilisé. Je crois donc que le quitter favoriserait encore plus la désinformation, car ce sont les personnes qui se battent contre ça qui s’en vont !
Et cette décision est d’autant plus surprenante que les supporters de Trump ont eu exactement la même réaction au moment de sa défaite en 2020. Ils s’étaient alors massivement réfugiés sur les réseaux comme Truth Social ou Parler. Dans le cas présent les départs se font au profit de Mastodon ou Bluesky.
Et n’est-ce pas positif de tenter de poursuivre ses activités sur d’autres réseaux ?
C’est effectivement positif de diversifier ses réseaux, pour toucher le plus de monde possible et éviter d’être dépendant à un seul réseau dont la politique et les algorithmes peuvent changer comme c’est la cas actuellement avec X.
En revanche le fait de quitter quand on considère que les idées majoritaires sont toxiques et ne correspondent pas aux nôtres est un peu triste. Ça en dit long sur notre incapacité à réellement dialoguer et débattre, c’est-à-dire échanger avec des personnes qui ne pensent absolument pas comme nous. Ca en dit long sur notre manque de résilience face à l’opposition des idées. Je pense que ce n’est pas en quittant un réseau qu’on va pouvoir rallier du monde à nos idées et qu’on pourra aider les autres à garder un esprit critique.
Quitter X pour Bluesky c’est choisir la facilité de rester dans une bulle de filtre qui est conforme à ce que l’on pense et de s’empêcher de convaincre tous ceux qui, sur X, seront soumis à un seul type de contenus effectivement toxiques.
C’est pour les indécis qu’il faut rester, c’est pour éviter de laisser toute la place à la désinformation sur un réseau qu’il faut l’investir massivement. Sans cela nous allons vers une société toujours plus clivée où les gens ne pourront vraiment plus se comprendre.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.