Astroturfing, bulles de filtre, biais cognitifs, fake news, drumbeat, manipulation des images, propagande… Tous ces termes relatifs à la guerre de l'information seront chaque semaine décryptés, mis en relief, sur euradio, pendant cinq minutes, pour donner des clefs de compréhension à tous ceux qui sont perdus dans la jungle de la désinformation.
Bonjour Laurence, aujourd’hui je vous propose d’aller un peu à contre-pied de nos discours habituels et de voir pourquoi il ne faut pas toujours voir de la désinformation ou du complotisme partout !
Je vous écoute.
Avez-vous entendu parler du point Godwin ?
Oui bien sûr, Godwin avait évoqué l’idée que, plus un débat se prolonge, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant Hitler ou les nazis était importante. Ce qui donnait ensuite lieu à des « attributions de point Godwin » dans les débats lors desquels une personne essayait de disqualifier un adversaire avec une comparaison au nazisme. Mais quel est le rapport avec la désinformation ?
Eh bien je vais vous expliquer en partant d’un exemple : quelques jours après la victoire de Trump aux élections présidentielles US, le site Newsguard, spécialisé dans la traque de la désinformation, relevait que de nombreux militants démocrates incrédules véhiculaient sous les hashtags #trumpcheated ou #recount l’idée que le résultat des élections avait été faussé. En l’occurrence, aucune agence officielle de contrôle n’a relevé d’irrégularités.
Or, quelques jours après avait lieu le 1er tour des élections présidentielles en Roumanie, lors duquel des accusations de désinformation sortaient et venaient annuler le résultat de l’élection. Il était reproché au candidat soutenu par les Russes d’avoir mené une campagne sur Tik Tok et Facebook, en utilisant de la sponsorisation et de faux comptes pour faire passer des messages dont certains contenant de la désinformation.
Je ne vois pas en quoi ces deux éléments peuvent nuire aux accusations de désinformation ?
C’est simple : quand on met ces deux éléments en parallèle, on a l’impression que, de la même manière que les accusations à l’encontre de Trump étaient fausses, celles à l’encontre du candidat nationaliste pro-russe Georgescu le sont aussi.
Ainsi, utiliser l’argument de la désinformation ou du complotisme à tout-va fait prendre le risque d’amoindrir les situations où il y a réellement de la désinformation et que les conséquences sont importantes. Mais aussi cela fait prendre le risque de rebuter une partie de la population.
Pouvez-vous préciser ?
Concernant la situation en Roumanie, sans entrer dans les détails et en évitant à tout prix de faire de la politique il faut quand même noter que le chaos résultant de cette situation risque d’avoir des effets néfastes durables. D’autant plus que, sur la majorité de Roumains ayant voté pour ce candidat, il n’est pas à exclure qu’une partie ait voté en conscience, rejetant le système en place. Tout comme cela s’est produit aux États-Unis avec l’élection de Trump.
Or, les accusations de désinformation renforcent chez ces personnes qui rejettent le système dominant, l’impression d’être dominés par des élites qui cherchent à tout contrôler et à tirer les ficelles.
Oui, c’est le discours des complotistes !
Voilà Laurence, vous venez de lâcher le point Godwin du complotisme ! Les accusations de désinformation et les accusations de complotisme font partie des éléments qui excluent et qui disqualifient certaines personnes sans chercher les causes réelles d’une colère qui est de plus en plus présente dans nos démocraties. Colère contre les partis politiques classiques qui ont de plus en plus de mal à convaincre, colère contre les médias traditionnels qui semblent avoir des difficultés à sortir de ce que certains appellent « la pensée unique ».
Car, ne nous leurrons pas, même si une partie des discours complotistes sont vraiment le résultat d’un manque d’éducation, une partie non négligeable n’est surement que la marque du rejet d’un système. Il faut donc éviter de renforcer ce rejet par des accusations systématiques de désinformation ou d’ingérence étrangère sur des sujets mineurs.
J’ai un petit exemple pour illustrer ce que je veux dire :
Lors des différents confinements qui ont eu lieu pendant les périodes COVID de 2020, 2021, les familles étaient incitées à se connecter sur la plateforme du CNED « l’Ecole à la maison ». Lors d’au moins deux confinements, le premier jour de ce portail a été catastrophique. Les serveurs n’étant pas dimensionnés pour recevoir autant de personnes au même moment, les bugs naturels d’une telle application tout juste crée dans des conditions exceptionnelles… Le gouvernement de l’époque avait toutes les excuses possibles pour expliquer pourquoi le système avait été instable en début de crise. Ce sont les hackers chinois et russes qui ont cependant été accusés. Loin de moi l’idée de réfuter le fait que les hackeurs chinois ou russes se soit penchés sur l’application « l’école à la maison ». Cela serait drôle mais c’est possible. En revanche il est surtout évident que de telles excuses ne soient pas crues, vu les probabilités que le problème soit avant tout interne. Et le fait que le gouvernement accuse des puissances étrangères sur ces questions si banales jette le doute ensuite sur toutes les autres ingérences possibles. Ainsi se développe petit à petit la défiance, et ainsi se perd la confiance.
D’accord, je comprends. Vous nous dites finalement qu’il faut faire attention lorsque l’on accuse de désinformation ?
Absolument, ne garder que pour les cas graves. Que l’on ne confonde pas désinformation et publicité ou argument politique qui va à l’encontre de nos opinions. Et surtout qu’on ne disqualifie pas systématiquement toutes pensée « non conforme » de complotistes. Ces points Godwin empêchent de développer l’esprit critique et fracturent la société.