Nous accueillons Marc Tempelman, un des co-fondateurs de la FinTech Cashbee, qui aide les Européens à épargner plus et mieux. Nous discutons toutes les semaines de finance.
Nous avons l’habitude de parler de finance et d’épargne. Donc à priori, à l’opposé des jeux de hasard, comme le loto ou les machines à sous. Mais nous faisons une exception pour le poker, car un très bon joueur de poker sera forcément un très bon épargnant. Vous m’intriguez. En quoi le poker, un jeu de hasard, ressemble-t-il de prêt ou de loin à l’épargne réfléchie Je vous comprends, ce n’est pas évident. Mais cela commence par comprendre que le poker n’est pas qu’un jeu de hasard, basée uniquement sur de la chance. Ah bon ? Prenons la version la plus populaire ce jeu, le fameux Texas Hold’em, No Limits. En quoi est-ce un jeu où l’expérience et la compétence peuvent faire la différence ? Excellent choix. Dans cette version du jeu, chaque joueur reçoit 2 cartes que lui seul peut voir, les “cartes fermées”. Puis le dealer distribue jusqu’à 5 cartes, faces ouvertes, qu’on appelle les cartes “communes”. L’objectif étant d’arriver à la meilleure combinaison de 5 cartes possible, entre vos cartes fermées, d’une part, et les cartes communes, d’autre part. Sachant que tout au long de la partie les joueurs misent de l’argent. Et comme indiqué dans le nom du jeu, c’est sans limites. Ah, je commence à comprendre où vous voulez en venir. Les joueurs disposent donc d’informations connues que par eux seul, mais aussi d’informations connues de tous ? Exactement. La popularité du poker est sans doute en partie liée au fait que les joueurs doivent en permanence prendre des décisions sur la base d’informations incomplètes. Avec une conséquence financière immédiate. Exactement comme quand on investit, et que l’on place son épargne dans tel ou tel fonds, ou dans telle ou telle action. En fait, vous nous expliquez que la prise décision au poker ressemble étonnamment au raisonnement qu’un investisseur éclairé doit tenir avant de placer son argent, c’est ça ? C’est ça. Par exemple, pour les deux, la première étape consistera à obtenir un maximum d’informations. Pour le joueur de poker il s’agit de l’analyse des cartes, des probabilités, mais aussi de la détection de tout signe de nervosité des autres joueurs. Pour l’investisseur c’est pareil. Il va devoir lire des rapports annuels afin d’analyser la santé financière de l’entreprise. Qui sont ses concurrents ? La société est-elle profitable, depuis combien de temps ? Les dirigeants sont-ils solides ? Je comprends le parallèle sur la collecte d’info. La similitude va-t-elle plus loin ? Oui, car s’en suit la phase de l’analyse de risques. Qu’elle est la probabilité de gain pour une combinaison de cartes ou une action cotée donnée. Quels sont les risques majeurs ? Au poker comme en épargne, il est crucial de contrôler ses émotions. Quelqu’un qui se met à trembler à chaque fois qu’il reçoit une paire de valets ou mieux, ne fera pas long feu. De même, un investisseur qui craque quand les marchés se retournent et qui vend à la moindre correction n’ira pas très loin. Il y a peut-être aussi l’influence de votre entourage sur votre prise de décision ? Absolument. Il y a le fameux exemple du joueur qui se retrouve face à quelqu’un qui mise la totalité de ses jetons. Cet adversaire se déclare all-in. C’est alors que les autres joueurs à la table expriment leurs convictions qu’il s’agit d’un bluff flagrant. Le joueur, malgré son instinct et son raisonnement, qui lui disent de se coucher, se laisse convaincre et décide de suivre. Résultat : il perd la totalité de ses jetons, et se fait éliminer du tournoi. Un épargnant expérimenté peut avoir effectué toutes ses recherches et arriver à une solide conclusion, encore faut-il qu’il ou elle soit capable d’ignorer les conseils des personnes bienveillantes qui l’entourent. C’est donc une affaire d’expérience ? Oui. Ce qui est étonnant c’est qu’au poker, la meilleure main ne gagne que dans 12% des cas ! Cela démontre bien que la qualité du joueur et son expérience font la différence. Certes, les cartes sont distribuées de façon aléatoire et un joueur peut tomber sur une série noire, mais c’est ce que vous faites d’une mauvaise main, qui sépare les bons joueurs des amateurs. De façon tout à fait similaire, un investisseur expérimenté passera très souvent à côté de belles opportunités de gain, même s’il est très affuté. Par exemple, il peut avoir identifié des sociétés susceptibles de bénéficier du confinement au mois de mars dernier. Il peut même avoir eu assez de cran pour ignorer tous ceux qui prédisaient un énorme krach boursier. Et donc d’avoir décidé d’acheter des actions de la société Netflix en se disant que la demande pour des séries à regarder chez soi allait exploser. Bonne analyse, il aura réalisé un gain de 66% depuis. Mais aura-t-il eu la vision d’aussi acheter les actions de la société Zoom, fournisseur de téléconférences, dont la valeur a plus que triplé depuis la même date ? Très intéressant. Mais il doit bien y avoir des différences fondamentales entre le poker et l’épargne ? Le principe fondamental entre les deux est très similaire. Tant pour joueur de poker professionnel que pour l’iépargnant averti, ce n’est pas très grave de passer à côté de certaines opportunités. Ce qui les distingue des amateurs dans leurs domaines respectifs, c’est qu’ils prennent systématiquement les décisions rationnelles, fondées sur l’information partielle et imparfaite dont ils disposent. En restant discipliné, ils savent que sur des durées longues, ils battront leurs adversaires. L’énorme différence entre eux, est qu’au poker, il n’y a que très peu de professionnels qui peuvent véritablement en vivre. Car il s’agit d’un jeu à somme nulle : le gain des uns est forcément la perte des autres. En matière d’épargne, avec quelques efforts et beaucoup de rigueur, il est possible de générer des rendements réguliers, tout comme de nombreux autres épargnants. Et si cela ne vous amuse pas, ou si vous pensez manquer de temps, contrairement au poker, vous pouvez laisser d’autres s’en occuper pour vous. crédits photo: Pixabay
Épisodes précédents
Les résolutions ESG moins soutenues
4 minutes
Les greenwashing des banques
3 minutes
La mort du LIBOR
3 minutes
Le prix du gaz
3 minutes
Le plafond de dette américain
3 minutes
L’or s’envole
4 minutes