Nous accueillons Marc Tempelman, un des co-fondateurs de la FinTech Cashbee, qui aide les Européens à épargner plus et mieux. Nous discutons toutes les semaines de finance.
Cette semaine, Marc Tempelman nous explique les SPAC (Special Purpose Acquisition Company).
Oui, l’acronyme SPAC mérite quelques explications. L’idée est la suivante : une ou plusieurs personnes, appelées sponsors, s’associent pour former une société sans activité précise, appelée SPAC, pour Special Purpose Acquisition Company. Celle-ci est cotée en bourse, et récolte des fonds en vendant des actions, typiquement, au prix de 10 euros ou dollars l’unité.
Le but de cette société, ou du SPAC, est uniquement de chercher une société cible, de l’acquérir et de la fusionner avec le SPAC.
Quel est l’avantage de ce montage pour les différentes parties prenantes ? Pouvez-vous nous donner un exemple d’une transaction de ce type ?
Oui bien sûr, ce sera probablement plus parlant. En 2019, l’investisseur expérimenté Chamath Palihapitiya crée un SPAC et lève 647 millions de dollars auprès d’investisseurs. Ces derniers croient en Chamath et sa capacité à identifier une société en forte croissance et à la recherche de capitaux. Il se trouve qu’à cette époque le milliardaire Sir Richard Branson, fondateur du groupe Virgin, recherche justement de l’argent frais pour sa société d’exploration spatiale, Virgin Galactic. Les deux hommes d’affaires se mettent d’accord et Virgin Galactic et le SPAC fusionnent en 2020. Virgin Galactic reçoit ainsi les 647 millions de dollars et se retrouve coté en bourse à une valorisation de 2,2 milliards de dollars. Cette valeur boursière qui dépasse aujourd’hui les 12 milliards de dollars.
Donc si je comprends bien, tout le monde y gagne : Virgin Galactic reçoit le financement dont elle avait besoin, et les investisseurs sont contents car leur investissement a payé et vaut beaucoup plus cher aujourd’hui. C’est bien ça ?
Oui, tout à fait. Et n’oublions pas Chamath, le sponsor du SPAC. En contrepartie d’avoir trouvé la cible – Virgin Galactic – et avoir su convaincre son propriétaire, Sir Richard, il a reçu une part considérable dans la nouvelle société issue de la fusion. Qui vaut beaucoup d’argent.
Le système du SPAC à l’air presque trop beau pour être vrai. Ce n’est quand même pas toujours aussi facile ?
Vous avez raison de le souligner. On voit aisément qu’un investissement dans un SPAC ne ressemble pas à un achat classique d’actions d’une société cotée en bourse. Quand vous achetez des actions de Danone par exemple, vous savez ce que la société commercialise, vous avez pu observer sa performance financière, et vous faire une idée sur la qualité du management et la pertinence de sa stratégie.
En termes imagés, vous achetez une part d’un navire dont vous connaissez les dimensions, le capitaine, l’équipage, et le cap.
Quand vous placez votre argent dans un SPAC, vous donnez votre argent au capitaine, qui vous promet d’acheter un bateau performant à un bon prix à une date future inconnue, pour en fixer le cap par la suite.
C’est donc un peu comme si les investisseurs faisaient un chèque en blanc au sponsor du SPAC !
Exactement. Les investisseurs doivent accorder une confiance littéralement aveugle au sponsor et à sa capacité à trouver la bonne cible, au bon prix. Et c’est là où ça se complique. Car si dans le passé, les sponsors étaient typiquement des financiers très expérimentés, de nos jours les sponsors sont d’horizons très divers.
En Europe, pas étonnant de voir que les anciens PDGs de Crédit Suisse, d’Unicredit et de Commerzbank ont – chacun - lancé un SPAC. Mais que penser des SPACs créés par le légendaire basketteur Shaquille O’Neill, par Martin Luther King III, le fils du pasteur militant du même nom, et par la popstar Ciara ?
Colin Kaepernick, le quarterback devenu célèbre en s’agenouillant durant l’hymne national américain pour protester contre le racisme, est également sponsor. Son SPAC est à la recherche de cibles dans le monde sportif et du divertissement. Rien que l’année dernière, 250 SPACS se sont formés aux Etats-Unis. Au total, les SPACs disposent de plus de 120 milliards de dollars de capitaux.
Il y a donc de plus en plus de chasseurs, pour potentiellement de moins en moins de cibles ?
Il faut reconnaître que de nombreux SPACs se focalisent sur un ou deux secteurs spécifiques, comme par exemple les nouvelles technologies ou les institutions financières. Et qu’ils ne sont pas tous de la même taille. Un SPAC disposant de 50 millions de dollars ne chassera pas les mêmes proies que le SPAC du financier Bill Ackman, qui à lui seul a récolté 4 milliards de dollars.
Mais il est indéniable qu’avec autant de nouveaux SPACs, la concurrence est devenue plus rude et la pression sur les sponsors plus élevée, car ils ne disposent typiquement que de quelques années pour déployer l’argent des investisseurs.
Merci beaucoup. Pour conclure : êtes-vous pour ou contre les SPACs ?
Le SPAC est un phénomène très tendance aujourd’hui, et le danger est donc d’investir dans une mode, qui passera. En attendant, je peux en comprendre l’attrait. Confier son argent à un expert en fusions et acquisitions, dont le profit dépend de sa capacité à générer d’importants gains pour vous, c’est tentant.
Le facteur clé reste de pouvoir identifier les SPACs soutenus par des sponsors expérimentés, ayant le plus de chances de réussir. Et d’accepter qu’il s’agit d’un placement à haut risque.
Interview réalisée par Laurence Aubron
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