Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a repris de plus belle. Quelles sont les conséquences pour l’Europe ?
Elles sont nombreuses. D’abord, sur le plan économique : les hausses tarifaires décidées par Washington provoquent une instabilité générale, comme l’a montré les fluctuations des marchés boursiers ce mois-ci. L’Europe est touchée indirectement, mais parfois aussi directement, comme avec les menaces des droits de douane sur les vins ou les voitures européennes. Ensuite, il y a un effet géopolitique : nous sommes pris dans un conflit qui nous dépasse, entre deux géants qui veulent redessiner les règles du commerce mondial.
Certains estiment que l’Europe reste spectatrice et qu’elle ne réagit pas suffisamment.
Depuis plus de trente ans, on évoque l’émergence d’une "Europe puissance", mais en pratique, l’Union européenne reste en retrait, souvent guidée par les États-Unis. Tant qu’elle ne parlera pas d’une seule voix, elle restera perçue comme fragile. Toutefois, sa réponse mesurée aux droits de douane imposés par Donald Trump montre une certaine maturité stratégique, évitant une escalade coûteuse pour les consommateurs européens et les risques économiques d’une guerre commerciale.
Est-ce qu’on se focalise trop sur les États-Unis, et est-ce que la vraie menace n’est pas du côté de la Chine ?
La Chine exerce une forte pression sur l’industrie européenne, doublant ses exportations en dix ans grâce à des coûts de production plus bas, ce qui fragilise des secteurs clés. Faute d’unité, les États membres négocient seuls avec Pékin, ce qui s’avère inefficace. Face au risque de devenir le réceptacle des excédents chinois en cas de guerre commerciale avec les États-Unis, et à la menace sécuritaire russe, l’Europe doit d’urgence s’affirmer comme une puissance unie et une alternative crédible aux modèles américain, chinois et russe.
Concrètement, quels outils l’Europe peut-elle activer pour se défendre ?
L’Europe s’est dotée de nombreux outils ces dernières années. Le droit de la concurrence permet de limiter les abus des grandes plateformes, en est un. Il y a aussi les régulations sur les GAFAM. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est un autre outil structurant. Tous ces outils ont des effets économiques réels… et font partie de la panoplie de contre-mesures présentées à Washington.
Mais l’Europe est-elle capable de réagir de façon unie ?
C’est là que le bât blesse. Le pire scénario pour nous serait une réponse en ordre dispersé, comme on le voit parfois. La tentation de négocier individuellement avec Washington est forte, surtout quand Trump distribue des exemptions tarifaires de manière opportuniste. La visite de la Première Ministre italienne, Gorgia Meloni à Washington n’est pas en ce sens, un très bon signal. La stratégie de Donald Trump est assez simple : diviser pour mieux régner. Il faut renforcer la cohésion interne, sinon nous risquons de rester des vassaux économiques, comme l’a d’ailleurs rappelé le vice-président américain, JD Vance.
Dominique de Villepin parlait récemment d’une “guerre hybride totale” contre l’Europe. Que faut-il comprendre ?
C’est une lecture très lucide. Cette guerre est commerciale, mais elle est aussi technologique, informationnelle, cognitive. La manipulation des faits, les ingérences électorales, les cyberattaques font partie du champ de bataille. Et l’Europe est encore trop perméable à ces menaces. Nous devons renforcer notre cybersécurité, lutter contre la désinformation, éduquer à l’esprit critique. C’est la seule manière de protéger nos démocraties.
Est-ce que cette guerre commerciale peut être un catalyseur pour renforcer l’autonomie stratégique de l’Europe ?
La crise actuelle peut être une opportunité pour l’Europe si elle renforce ses investissements en défense, développe une base industrielle solide et mise sur l’innovation. Il est essentiel de sécuriser des secteurs clés comme le numérique, l’énergie et les paiements pour garantir la souveraineté. L’Europe doit aussi achever son marché intérieur en le rendant pleinement intégré — via une union bancaire, une gouvernance de la zone euro, et une harmonisation fiscale — afin de devenir un pôle de stabilité attractif face aux blocs américain et chinois.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.