L'éco de Marc Tempelman

Fifty Shades of Green - l'éco de Marc Tempelman #6

Fifty Shades of Green - l'éco de Marc Tempelman #6

Nous accueillons Marc Tempelman, un des co-fondateurs de la FinTech Cashbee, qui aide les Européens à épargner plus et mieux. Nous discutons toutes les semaines de finance.

Je pensais que nous pourrions échanger aujourd’hui sur les placements « verts », dit ISR, pour Investissement Socialement Responsable.

Très bien, c’est vrai que le sujet intéresse de plus en plus d’épargnants. Comment donner du sens à son épargne. Un vrai casse-tête !

Exactement. Si le concept du placement durable est simple, la pratique est plus complexe, car la première question qui se pose est comment nous pouvons identifier ces fameux placements responsables. Pour répondre à cette demande, l’industrie financière, toujours prête à se réinventer, a donné naissance à des labels. Les plus importants étant la notation ESG, pour Environnement, Social et Gouvernance, souvent traduit par l’abréviation ISR en France.

Alors justement, qui attribue les notes en matière de protection de la planète ou d’équité sociale ? Dit autrement, comment être certain que tel ou tel placement est réellement aussi responsable qu’il le prétend ?

C’est la vraie bonne question. Pour y répondre, des dizaines d’agences de notations, d’associations et de “think tanks” se font concurrence et proposent leurs systèmes de notation pour juger de la qualité des engagements responsables.

De gros progrès ont été faits sur le plan environnemental. Ce sont notamment les principes posés par l’association internationale des marchés de capitaux qui se sont imposés comme la référence du marché.

Ces principes ont permis de standardiser les émissions obligataires dites “vertes” et de faciliter la tâche des agences de notation spécialisées — sortes de Guides Michelins de l’investissement. Et comme le Guide Rouge, elles attribuent aujourd’hui des notes, qui distinguent les placements trois étoiles de ceux qui ne sont pas au niveau.

Et ça marche comment dans la pratique ?

Prenons l’exemple du producteur de saumon norvégien Grieg Seafood. En juin 2020, cette entreprise s’est endettée pour 100 millions d’euros de dette « verte ». Cette dette a obtenu la note de “Vert Moyen” selon l’agence de notation Cicero, experte dans le domaine ESG.

Mieux que “Vert Clair” certes, mais moins bien que “Vert Foncé” — note qu’il est presque impossible d’atteindre pour un pisciculteur : les saumons mangent de grandes quantités de soja, dont la production est liée en partie à la déforestation au Brésil.

Toujours est-il que pour obtenir la note de “Vert Moyen”, Grieg Seafood a dû promettre de sourcer son soja en provenance de terres agricoles existantes et ne nécessitant aucun transport aérien pour l’acheminement aux bassins d’élevage.

Par ailleurs, elle a inséré une clause supplémentaire particulière dans le contrat obligataire : Grieg Seafood s’interdit d’utiliser l’argent emprunté pour effectuer des achats auprès de Cargill, un leader dans le domaine du négoce de grains, accusé de ne pas protéger l’Amazonie. 

Très clair. Et qu’en est-il pour l’aspect social de ces placements responsables ?

La finance n’est pas dépourvue de phénomènes de modes. Si en 2018 la tendance était au vert, la hype en 2020 est clairement d’émettre des obligations Covid-19, à vocation sociale. L’engouement des investisseurs a permis aux émetteurs de lever plus de 60 milliards d’euros de dette de ce type, rien qu’en mars et avril.

En volume, ce secteur de la dette sociale a dépassé celui, plus établi, des obligations vertes. Et c’est bien là où le bât blesse. Car dans un secteur en émergence comme celui des obligations sociales, le manque de règles uniformes laisse de la place à des abus possibles. Sous forme de social washing.

« Social washing » et « Green washing”, de quoi s’agit-il exactement ?

Ces termes reflètent la forte tentation pour les entreprises de parler beaucoup et d’en faire peu. Et donc d’essayer de s’afficher comme socialement responsables, sans vraiment s’y engager dans la réalité.

Un exemple vous vient en tête pour illustrer ces beaux parleurs, qui surfent la vague du financement responsable ?

Oui, on peut prendre l’exemple du groupe pharmaceutique Pfizer. La société indique dans la documentation de son obligation sociale que les fonds levés seront dirigés vers certains “projets éligibles”. Tout en précisant qu’ils pourraient aussi être utilisés pour rembourser d’autres dettes existantes et que le groupe, et je cite, “ne pouvait donner l’assurance que les fonds seraient totalement ou partiellement alloués à des projets éligibles”...

Autre exemple. En Chine, le gouvernement autorise les emprunteurs à labelliser leur dette comme des “obligations de contrôle du virus” si seulement 10% de la somme levée est alloué à la lutte contre le Coronavirus.

Les obligations “sociales”, très à la mode aujourd’hui, exigent donc beaucoup plus d’analyses et de discernement de la part des investisseurs pour distinguer le vrai du “on-ne-peut-pas-vraiment-savoir” !

Photo: Burak K