Nous accueillons Marc Tempelman, le cofondateur de l’application d’épargne gratuite Cashbee. Nous discutons toutes les semaines de finance. De quoi allons-nous parler aujourd’hui ?
Le 7 septembre dernier, le Salvador est devenu le premier pays qui a adopté le bitcoin comme seconde monnaie officielle du pays, aux côtés du Dollar américain. Il y est théoriquement possible d’acheter sa baguette ou son café au comptoir en utilisant cette crypto monnaie. Une expérience intéressante qui, je pense, mérite qu’on en débatte.
Oui, c’est vrai qu’on parle beaucoup de bitcoins et de crypto devises, mais plutôt comme investissement spéculatif. Concrètement cela veut dire quoi d’adopter le bitcoin comme monnaie officielle ?
Au Salvador, la loi oblige à tous les commerces du pays d’accepter le bitcoin en contrepartie des biens ou services qu’ils vendent. En théorie, depuis quelques semaines, le monsieur Toutlemonde peut régler son repas au restaurant en bitcoins.
Alors je vais vous poser la question à un million de bitcoins : pourquoi le gouvernement du Salvador a-t-il pris cette décision ?
Le pitch du président se focalise sur les remises. L’économie salvadorienne dépend beaucoup de l’argent que 2 millions de Salvadoriens expatriés renvoient à leurs familles, restées au pays. Cela représente 20% du PIB du pays. Or ces transferts, exécutés en US Dollars et typiquement opérés par des changeurs comme Western Union, prennent du temps et coûtent chers. Typiquement, une semaine et 3-5% de commission. L’envoi de bitcoins d’un porte-monnaie électronique à un autre est comparativement beaucoup plus rapide et moins cher.
Le président estime en outre que l’introduction du bitcoin permet d’attirer des investissements importants en provenance de l’étranger. Ce dont l’économie salvadorienne a bien besoin.
Très bien, mais qu’en pensent ses opposants ? Je ne peux pas croire que l’introduction d’une crypto monnaie puisse se faire en un claquement de doigts.
Excellente question. Pour y répondre il faut comprendre comment sont jugés les gestionnaires de fonds et les investisseurs professionnels. Dans le milieu, on évalue la performance délivrée par un fonds donné par rapport à son indice de référence, comme par exemple le CAC40 ou le S&P500. On compare aussi le rendement généré par un gestionnaire à celui de ses concurrents.
Très bien. Donc si je comprends bien, un gestionnaire prudent, qui aurait gardé une partie de l’argent en liquidités, aurait forcément délivré une performance inférieure par rapport à d’autres, plus agressifs ?
Vous avez raison. Le premier reproche fait au gouvernement est que cette mesure a été introduite beaucoup trop rapidement, sans préparation. Selon sondage qui date du mois de juillet un peu moins de la moitié des Salvadoriens ne comprenaient pas ou pas bien ce qu’est un bitcoin et deux-tiers ne souhaitent pas être payés en bitcoins.
Je peux les comprendre car le cours de la crypto monnaie peut fluctuer fortement en peu de temps non ?
C’est sans doute le risque principal à souligner. Depuis le début de l’année, le cours du bitcoin a fluctué entre 10 000 et 64 000 dollars ! Et, ce n’est quand même pas de bol, le jour où le bitcoin a été introduit au Salvador comme monnaie courante son prix chutait de plus de 10%.
Cette volatilité réduit naturellement la confiance que la population peut avoir dans les bitcoins. À quoi bon prendre le risque de recevoir de la crypto-devise, si son pouvoir d’achat est aussi volatil ?
Nous pouvons donc affirmer que le lancement de cette initiative n’a pas été sans heurts. Mais sur la durée, est-elle (potentiellement) utile ?
Il est sans doute trop tôt pour conclure de façon définitive, mais notons tout de même que le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale mettent en garde contre cette démarche, citant l’instabilité macro-économique qu’elle pourrait causer. Les deux organisations soulignent que les réserves monétaires du Salvador sont dorénavant exposées au cours du bitcoin, et donc beaucoup plus volatiles. La notation de crédit du pays a d’ailleurs été abaissé. Ce qui renchérit le coût auquel le Salvador peut lever de la dette.
Pour conclure, que penser de cette expérience inédite ?
Les crypto-fans à travers le monde ont vu l’initiative du Salvador comme un immense pas en avant. Ils y voient l’évolution naturelle de la crypto-monnaie qui évolue d’une invention réservée aux geeks et associé au monde criminel, à un moyen de paiement mondial échappant aux contrôles des banques centrales.
Mais pas sûr que les Salvadoriens le perçoivent comme tel. Très peu de marchands acceptent d’être payés en bitcoin pour l’instant. La méfiance et l’incompréhension dominent. Les 200 distributeurs de bitcoins sont surtout utilisés par la population pour déposer des bitcoins et retirer des Dollars, sonnants et trébuchants.
Laurence Aubron - Marc Tempelman
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Photo de mohamed mahmoud hassan provenant de CC0 Public Domain