Cette semaine, Alain Anquetil, professeur de philosophie morale à l’ESSCA Ecole de Management, nous parle d’un décret pris par le Pape François le 29 avril dernier. Il porte sur la transparence dans la gestion financière du Vatican.
Il s’agit d’un motu proprio, une expression dont le sens étymologique est « de son propre chef ». Il correspond, je cite le glossaire de l’Eglise catholique de France, à un « acte législatif pris et promulgué par le Pape, agissant de sa propre initiative, en pleine connaissance de cause et non pour répondre à une sollicitation. Cet acte équivaut à un décret qui précise des règles d’administration et d’organisation dans l’Eglise. » (1)
C’est bien de cela dont il s’agit.
Il s’agit en effet d’un court décret, applicable dès sa publication, qui soumet l’ensemble des responsables de l’administration du Vatican, y compris les cardinaux, à des obligations déclaratives. Les déclarations devront notamment certifier l’absence de condamnations ou d’enquêtes pénales en cours pour corruption, fraude ou blanchiment d’argent, ainsi que l’absence de détention d’actifs dans des paradis fiscaux. Des contrôles seront possibles pour vérifier leur véracité, mais ces déclarations ne seront pas rendues publiques (2). Le texte interdit aussi aux employés d’accepter, « en raison de leur fonction, des ‘cadeaux ou autres avantages’ d’une valeur supérieure à 40 euros » (3).
Le contenu de ces « Dispositions relatives à la transparence dans la gestion des finances publiques » est assez classique. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce texte ?
Son introduction.
Les premiers mots du décret ?
Oui. Ils tiennent en un peu plus de deux lignes. Les voici : « La fidélité dans les choses de peu d’importance est liée, selon l’Écriture, à la fidélité dans les choses importantes. De même, la malhonnêteté dans les choses de peu d’importance est liée à la malhonnêteté dans les choses importantes. » (4)
Ce court préambule est la reproduction d’un verset de l’évangile de Luc : « Qui est fidèle en très peu de chose est fidèle aussi en beaucoup, et qui est malhonnête en très peu est malhonnête aussi en beaucoup » (5). Les « choses de peu d’importance » sont les biens matériels, les « choses importantes » sont les biens spirituels.
Il est important de souligner que ce préambule est plus qu’une épigraphe, qu’une « courte citation placée en tête d’un ouvrage pour en indiquer l’esprit » (6). Il fait partie du texte.
Mais quelle est sa fonction ?
En premier lieu, ce préambule est tourné vers l’action. Il ne s’agit pas seulement de penser ou d’avoir en tête que « la malhonnêteté dans les choses de peu d’importance est liée à la malhonnêteté dans les choses importantes ». Ce que dit cette phrase, c’est qu’il faut agir de façon honnête, y compris dans le contexte de choses très matérielles, comme lorsque l’on occupe un rôle professionnel et que l’on doit refuser le cadeau d’un fournisseur.
En second lieu, le préambule éveille l’esprit de ceux qui sont visés par le décret, il les rend en quelque sorte disponibles. Il les dispose à la fois à comprendre le sens du règlement, très matériel, qui suit le préambule, et à ressentir l’obligation de l’appliquer.
Est-ce finalement un procédé rhétorique, dont le but est de persuader ?
Pas tout à fait. Ce genre de procédé m’a fait penser au mode d’exposition que le mystique chrétien du XVIème siècle Jean de la Croix utilisait dans ses traités. Il commençait par un poème. Dans l’ouvrage qu’il lui a consacré, Jean Baruzi, philosophe spécialiste des religions, observait que « des poèmes d’une souveraine qualité servent de thèmes aux écrits » et que cette « technique » (commencer par un poème) permet « de pressentir le lien concret entre l’expérience et la doctrine » (7). Il remarquait aussi que, dans l’œuvre de Jean de la Croix, « poème et traité [ne sont pas] juxtaposés, [qu’] ils ne se séparent pas l’un de l’autre ; le commentaire ne s’ajoute pas au poème et le poème n’apparaît pas comme un ornement qui aurait pu ne pas être ».
Voilà qui, me semble-t-il, convient bien au court préambule du décret du Pape François. Naturellement, ce décret est empreint de spiritualité, et l’on ne peut exiger d’un texte profane qu’il commence de cette façon. On pourra toutefois méditer, si on en a le désir, la première phrase de l’avant-propos de la Convention des Nations Unies contre la corruption, à laquelle le Vatican a d’ailleurs adhéré : « La corruption est un mal insidieux dont les effets sont aussi multiples que délétères » (8). Contrairement au préambule du décret du Pape François, elle n’appartient qu’au domaine des faits, même si le « mal insidieux » qu’elle mentionne peut bien sûr recevoir différentes acceptions.
(1) Source : glossaire de l’Eglise Catholique en France.
(2) Voir « Le pape impose des règles drastiques contre la corruption », La Croix, 30 avril 2021.
(3) Source : « Une nouvelle loi anti-corruption pour les cadres du Vatican », Vatican News, 29 avril 2021.
(4) « Apostolic letter issued “motu proprio” by the Supreme Pontiff Francis regarding provisions on transparency in the management of public finances », 29 avril 2021. La traduction française est empruntée au communiqué du Vatican : « Une nouvelle loi anti-corruption pour les cadres du Vatican ».
(5) Luc 16.10, La Bible de Jérusalem, 13ème édition, Paris, Les Editions du Cerf, 1992.
(6) A. Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française Le Robert, Paris, Le Robert, 2010.
(7) J. Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, Paris, Librairie Félix Alcan, 1924. On pourra aussi consulter la thèse de Juliette Bordes, La théologie symboliste de Saint Jean de la Croix dans “Le Cantique spirituel” et “La Vive flamme d’Amour”, Université de Lorraine, 2013.
(8) Convention des Nations Unies contre la corruption, Nations Unies, New York, 2004.
Laurence Aubron - Alain Anquetil
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