C'est nouveau sur euradio ! Nous accueillons désormais chaque semaine Alain Anquetil, professeur de philosophie morale à l’ESSCA Ecole de Management, pour une chronique de philosophie pratique.
Cette semaine, il revient sur la décision, prise le 8 Janvier 2021 par Twitter, de fermer le compte de Donald Trump.
On a beaucoup parlé de la responsabilité de Twitter en matière de liberté d’expression. Ce site de micro-blogging est, selon ses propres termes, la « vitrine de ce qu’il se passe dans le monde et des sujets de conversation du moment » (1), mais la neutralité morale et politique de cette « vitrine » est devenue problématique.
Cependant, je voudrais aborder la décision de Twitter sous un angle différent. Il concerne la légitimité morale de la procédure que l’entreprise a utilisée pour suspendre de façon permanente le compte de Donald Trump.
Faites-vous référence aux arguments que Twitter a avancés pour justifier sa décision ?
Il s’agit moins des arguments que de la méthode proprement dite. Elle consistait à examiner si les faits (en l’occurrence deux tweets de Donald Trump) entraient dans le champ d’application d’un règlement que Twitter a arrêté en mars 2019, intitulé « Politique en matière d’apologie de la violence ».
Twitter a analysé les deux tweets pour déterminer s’ils violaient ce règlement. Il pouvait mener cette analyse, car on y trouve, je cite le texte, « ce qui constitue une infraction à cette politique » et « ce qui ne constitue pas une infraction à cette politique ». On y trouve aussi la mention de deux sanctions qui peuvent être prononcées en cas d’infraction : l’avertissement ou la suspension définitive. On y trouve enfin le droit donné à un utilisateur sanctionné de faire appel de la décision.
Mais cette « Politique » est nécessairement générale. Twitter a dû faire un travail d’interprétation…
Oui, Twitter a interprété les faits. Cela apparaît clairement dans la section du compte-rendu qui s’appelle « évaluation du cas ». Plusieurs facteurs ont été considérés, y compris le contexte (qui intervient dans toute interprétation) et, bien sûr, le langage employé dans les tweets. Par exemple, Twitter écrit que « l’utilisation [par Donald Trump] de l’expression ‘patriotes américains’ pour décrire certains de ses partisans est […] interprétée comme un soutien à ceux qui commettent des actes violents » (2).
On peut évidemment contester les interprétations de Twitter, bien qu’elles cherchent à dégager le sens des faits. Mais, d’un point de vue formel, la méthode est valide. Citons la manière dont Twitter résume sa décision, car elle résume aussi sa logique : « Après avoir évalué le langage utilisé dans ces tweets par rapport à notre Politique en matière d’apologie de la violence, nous avons établi qu'ils violent cette Politique et que l'utilisateur @realDonaldTrump devrait être immédiatement et définitivement suspendu du service ».
Pourquoi parlez-vous de « légitimité morale » à propos de cette méthode ?
Parce qu’elle respecte un principe qui relève du droit, mais qui concerne aussi la morale quand elle est mise en pratique : le principe de légalité des peines. Ce principe affirme qu’« une sanction, même de caractère non pénal, ne peut être infligée que si elle repose sur une base légale claire et non ambiguë » (3).
Twitter a respecté ce principe. La sanction – la fermeture du compte de Donald Trump – reposait effectivement sur une règle claire, précise, et, condition essentielle, antérieure aux faits.
On observe que la méthode employée par Twitter correspond à celle qui est appliquée en matière de déontologie. Certes, les règles de Twitter ne relèvent pas de la déontologie, qui concerne une profession ou un secteur d’activité, mais, comme la déontologie, elles imposent des obligations morales que ses utilisateurs doivent respecter.
C’est pourquoi j’ai parlé de « légitimité morale ». Il s’agit bien de morale, une morale concrète, en interaction étroite avec le droit, qui est reliée fondamentalement à l’action et à la pratique.
(1) About Twitter.
(2) Permanent suspension of @realDonaldTrump.
(3) Arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes (troisième chambre) du 12 décembre 1990, Vandemoortele NV contre Commission des Communautés européennes.
crédits photo: Marco Verch Professional Photographer, CC BY 2.0
Interview réalisée par Laurence Aubron
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