Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui, vous souhaitez revenir sur les tensions actuelles entre la Finlande et la Russie. Que se passe-t-il exactement ?
Début novembre, les autorités finlandaises ont recensé une recrudescence anormale de migrants traversant la frontière en provenance de Russie. Ces migrants sont pour la plupart originaire d’Afrique et du Moyen-Orient. Mais ils disposent de visas de travail ou d’étudiant russe, ce qui laisse présumer une implication de la Russie derrière ces franchissements de frontières. Alors on ne peut pas parler d’un ras de marée migratoire puisqu’en un mois, les autorités ont recensé un peu moins de 1 000 entrées. Mais rapportée à la population finlandaise qui est de 5,5 millions d’habitants, ce n’est pas rien et c’est surtout largement plus que d’habitude. Donc la semaine dernière la Finlande a fermé l’intégralité de ses postes frontières avec la Russie pour endiguer l’arrivée de migrants.
Cela rappelle étrangement ce qui s’est produit en 2021 à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie...
Oui, on se souvient des milliers de migrants massés à la frontière, dans des conditions de froid extrême, comme aujourd’hui en Finlande. À l’époque, le gouvernement Polonais et l’Union européenne avaient accusés le régime de Loukachenko, le Président Biélorusse, d’orchestrer cette crise migratoire pour faire pression sur les pays européens, quelques mois avant l’invasion de l’Ukraine. Bien sûr, tout le monde soupçonnait déjà la Russie d’être derrière tout ça. On avait d’ailleurs découvert le stratagème assez méthodique de Moscou qui affrétait des avions spéciaux en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient pour acheminer les migrants à la frontière polonaise.
On peut donc raisonnablement imaginer que, là encore, la Russie est à la manœuvre ?
Oui, d’autant que les relations entre la Finlande et la Russie se sont considérablement détériorées ces dernières années, du fait de l’invasion de l’Ukraine puis de l’entrée de la Finlande dans l’OTAN en avril dernier. L’une des plus grandes craintes de Vladimir Poutine s’est alors réalisée : l’OTAN est désormais à sa frontière. Or, c’est bien la guerre en Ukraine qu’il a déclenché qui a poussé la Finlande à demander son adhésion express à l’OTAN et à rompre définitivement sa neutralité militaire – même si elle s’était rapprochée de l’OTAN déjà avant, notamment depuis son adhésion à l’UE en 1995.
Donc cette pression migratoire à la frontière, c’est une sorte de punition de la part de Vladimir Poutine ?
C’est surtout une mise en garde. On peut même y voir un acte de guerre hybride. La Russie sait très bien instrumentaliser les migrants et en faire une arme de déstabilisation. La question migratoire est une source perpétuelle de divisions internes en Europe. On l’a vu en 2015 lors de la crise migratoire. Et c’est encore le cas aujourd’hui. Aux Pays-Bas, la victoire du parti d’extrême droite de Geert Wilders, ouvertement anti-immigration, montre bien à quel point la question migratoire est sensible et source de tensions. Et en Finlande, les élections présidentielles ont lieu en janvier prochain. Donc on ne peut s’empêcher de penser que cette provocation de la part de la Russie vise à déstabiliser l’élection et à renforcer le parti des Vrais Finlandais, anti-immigration également, qui prend de plus en plus de place sur l’échiquier politique finlandais.
Quelles sont les armes dont disposent l’Europe pour se défendre face à ces actes de guerre hybride qui se multiplient de la part de Moscou ?
Le renforcement de Frontex d’abord. D’ailleurs, l’Agence de garde-frontière à envoyer une cinquantaine d’agents à la frontière entre la Finlande et la Russie pour soutenir les autorités finlandaises. C’est une bonne chose et ça montre que le système fonctionne. Mais attention, on ne parle que de quelques centaines de migrants. Dans le cas de la Pologne en 2021, lorsqu’il y avait des milliers de migrants massés à la frontière, la réponse est venue directement du gouvernement polonais qui a construit des murs et refoulé manu militari les demandeurs d’asiles – et tout cela, en dehors de tout cadre légal. Concernant l’arme migratoire, la meilleure réponse serait que les États membres s’accordent enfin sur des mécanismes communs. C’est l’objectif du Pacte sur la migration et l’asile qui cherche un équilibre entre la responsabilité des pays de première entrée qui accueillent la majeure partie des demandeurs d'asile, et le principe de solidarité que les autres États membres doivent respecter.
Mais il est encore très controversé, notamment à l’Est ?
Oui, mais paradoxalement, les actes répétés de déstabilisation de la Russie via l’arme migratoire peuvent changer la donne. Jusque-là, ce sont les pays du Sud (Italie, Grèce, Espagne) qui sont les plus touchés par l’arrivée de migrants. Or, si la Russie continue de mettre la pression aux frontières des états nordiques (Finlande, Suède), des états baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) et des États d’Europe centrale (Pologne notamment), ces derniers pourraient commencer à voir l’intérêt de la solidarité européenne et donc du besoin de repenser la politique migratoire et d’asile. En tout cas, le bon sens devrait effectivement les pousser à reconsidérer leurs positions puisqu’on peut vraisemblablement supposer que la Russie ne s’arrêtera pas là et continuera d’instrumentaliser les migrants pour déstabiliser l’Europe.