Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Dans votre chronique, vous posez une question que beaucoup se posent : l’Union européenne produit-elle trop de normes ?
Cette question n’est pas nouvelle et elle touche à l’essence même de ce qu’est l’UE : une puissance normative. Depuis des années on entend une critique récurrente : l’UE ne saurait que produire des règles à la chaine, sans tenir compte des conséquences des nouvelles normes pour les États, les entreprises, ou les individus. On s’insurge même du fait que l’UE réglemente la production des fromages, la taille des toilettes ou que sais-je. En gros, les normes européennes pèseraient trop lourd sur les administrations et les citoyens européens et se mêleraient de choses qui devraient relever uniquement de la compétence des États.
Et vous dites que tout cela est faux ?
Non, l’Union européenne produit bien des milliers et des milliers de normes sur un tas de sujets, jusque dans les plus petits détails. En revanche, ce qui est faux c’est une autre assertion qui en vient à penser que les législations des États seraient composées à plus de 60 ou 80 % de normes européennes transposées. En France, la réalité est toute autre. Seules 20 % des lois environ résultent de transpositions de règlements ou directives européennes. On est donc bien loin de l’hégémonie avancée par certains.
Comment expliquer ce sentiment que partagent beaucoup de gens quant au poids des normes européennes ?
Le premier facteur d’explication c’est le manque de connaissance sur le fonctionnement de l’UE. Et on ne peut pas en vouloir aux gens de ne pas saisir toute la complexité de la mécanique européenne. Parce qu’elle est bel et bien extrêmement complexe et seuls des experts hautement qualifiés (dont je ne fais pas partie d’ailleurs) peuvent expliquer le fonctionnement réel de l’UE dans toutes ses composantes. Mais sans pour autant tout connaitre ou tout comprendre, il y a quelques notions de base qu’il serait utile de rappeler aux citoyens. Et ce rappel il devrait être fait à deux niveaux : dans les écoles bien sûr, mais aussi par les élus, les représentants politiques nationaux qui, eux, devraient pouvoir expliquer les lois qu’ils votent et la part de transposition de normes européennes dans ces lois.
Quelles sont ces notions de base qu’il faudrait rappeler ?
La principale est la différence entre un règlement et une directive. En gros, un règlement est un texte législatif directement applicable dans tous ses éléments. Les États doivent donc le transposer tel quel. Une directive, en revanche, est un texte cadre qui fixe des objectifs à atteindre et mais qui laisse les États membres libres de choisir certains moyens. Ce qui se passe en France c’est que nous avons pris une mauvaise habitude qui se traduit par le terme de « surtransposition ». En d’autres termes, la France joue les premières de la classe en voulant faire mieux que les objectifs européens, donc elle rajoute des objectifs, des conditions, des clauses qui viennent complexifier la norme européenne originelle. Et ce n’est pas moi qui le dit mais un rapport du Sénat qui date de 2018 et qui s’intitule « La surtransposition du droit européen en droit français : un frein pour la compétitivité des entreprises ».
Pourquoi la France en fait-elle trop ?
Je ne saurais pas répondre à cette question... la réponse se trouve peut-être du côté de la sociologie des institutions. En tout cas, ce qui est certain et largement documenté aujourd’hui c’est que la surtransposition nuit à la compétitivité des entreprises et des filières françaises. On se met à nous-mêmes plus de bâtons dans les roues que ne nous en met l’Union européenne. Soit nous rajoutons des conditions supplémentaires, soit nous raccourcirons les délais prévus, soit encore, nous élevons davantage les standards requis. Tout cela crée de la norme supplémentaire dont nous n’avons pas besoin, en tout cas pas selon la réglementation européenne. On crée des distorsions de concurrence interne à l’UE qui pénalisent nos entreprises et nos industries. Alors pourquoi le fait-on quasi systématiquement ? J’avoue avoir moi-même du mal à comprendre.
Pourtant le Président Emmanuel Macron a réclamé il y a moins d’un an une pause réglementaire européenne, notamment sur les normes environnementales.
Oui, il semble y avoir une prise de conscience au niveau de l’État que ces surtranspositions ne sont pas dans notre propre intérêt. Mais lorsque le Président Macron demande cette pause réglementaire, il omet de parler de la surtransposition française, ce qui vient encore amplifier le sentiment de beaucoup de Français que l’Europe impose trop de normes. Ce n’est pas très honnête et cela dessert l’UE. La norme est bien l’outil privilégié par l’Union européenne pour agir et c’est en ce sens qu’on dit qu’elle est une puissance normative. Le problème ce n’est pas de produire de la norme, mais c’est de produire des normes qui permettent d’atteindre des objectifs et des buts bien précis. La norme n’est pas une fin en soi, c’est un moyen, un outil, rien de plus. Or, la France et l’Union européenne semblent avoir oublié cela depuis un certain temps et on produit de la norme sans toujours mesurer les impacts potentiels, positifs et négatifs, et surtout, sans prévoir de retour en arrière au cas où les effets de la norme ne seraient pas ceux escomptés. Le problème est là : il faut d’abord définir des objectifs. Et l’un d’eux, à mon sens, ça doit bien sûr être l’autonomie stratégique européenne. Or, force est de constater que, si on prend cet objectif-là, la France et l’UE votent des normes qui parfois vont à l’opposé total de cet objectif.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.