L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

L’extrême droite européenne en campagne : ce que révèle le rassemblement du 9 juin

© Affiche partagée sur le compte Facebook du Rassemblement national L’extrême droite européenne en campagne : ce que révèle le rassemblement du 9 juin
© Affiche partagée sur le compte Facebook du Rassemblement national

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Le lundi 9 juin, plusieurs leaders d’extrême droite européens se sont réunis dans le Loiret à l’invitation de Jordan Bardella et Marine Le Pen. Faut-il y voir un moment symbolique, ou un jalon stratégique plus profond dans la recomposition politique du continent ?

Ce rassemblement est tout sauf anodin. Il marque une étape supplémentaire dans l’internationalisation de l’extrême droite européenne. En réunissant à Mormant-sur-Vernisson des figures comme Viktor Orban, Matteo Salvini, Santiago Abascal, Geert Wilders ou encore Krzysztof Bosak, le RN a montré qu’il est devenu une force de coordination transnationale. C’est aussi une démonstration de confiance, et presque de conquête : Marine Le Pen parle désormais ouvertement de "finir la partie et prendre le pouvoir", en France comme en Europe.

Marine Le Pen a affirmé : « L’Union européenne est un empire contre nos nations ». Ce type de formulation a toujours été présent dans les discours de l’extrême droite. Que révèle-t-il aujourd’hui encore ?

Cette phrase est très révélatrice d’un glissement idéologique. L’extrême droite ne se contente plus de critiquer les politiques de Bruxelles. Elle remet en cause la légitimité même de la construction européenne, qu’elle présente comme une force de domination post-nationale. Le terme "empire" renvoie à une structure autoritaire, étrangère, et illégitime. Cela participe d’un narratif où les États-nations sont présentés comme les seuls garants de la souveraineté, face à une UE perçue comme technocratique, ultralibérale, voire "woke", selon leurs mots. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que ces dernières années, beaucoup de discours notamment ceux de Marine Le Pen s’étaient écartés d’une europhobie véritable. C’est finalement le discours de Gorgia Meloni qui s’était imposé : c’est-à-dire non pas contre l’Europe, mais contre cette forme là avec la volonté de ne pas renverser le système mais de le transformer de l’intérieur. On a le sentiment aujourd’hui que le discours des extrêmes droites redevient celui Meloni, plus radical.

Vous venez d’employer le mot "woke", qui a aussi été utilisé par plusieurs intervenants lors du rassemblement. Peut-on dire que l’extrême droite européenne importe désormais directement les codes du trumpisme ?

Absolument. Le discours entendu le 9 juin s’inspire très directement de la rhétorique de Donald Trump. On y retrouve des attaques contre les élites, les médias, les minorités, le "wokisme", perçu comme une menace civilisationnelle. C’est une stratégie très efficace : elle permet d’agréger des colères multiples — sociales, culturelles, identitaires — dans une grille de lecture simplifiée. En reprenant ce vocabulaire, Marine Le Pen et ses alliés cherchent à capter un électorat conservateur mais aussi antisystème, tout en se donnant une image de modernité réactionnaire. Exactement comme l’a fait Donald Trump.

Depuis les élections européennes de 2024, comment se porte l’extrême droite au Parlement européen ? A-t-elle gagné en cohésion ou reste-t-elle fragmentée ?

Elle progresse, incontestablement. Mais la grande difficulté reste leur manque d’unité. Les querelles de leadership, les divergences nationales — notamment sur la Russie — freinent l’émergence d’un bloc cohérent. Cela dit, leur influence est croissante : ils imposent des thèmes, polarisent les débats, et pèsent dans certaines commissions. Leur stratégie consiste moins à gouverner qu’à déplacer le centre de gravité idéologique du Parlement vers leur vision du monde.

Le retour au pouvoir du PiS en Pologne a été perçu comme une confirmation de la vitalité de ce courant en Europe centrale. Quels effets cela produit-il à l’échelle européenne ?

La victoire du PiS à la présidentielle polonaise, après un cycle d’alternance, renforce clairement le pôle national-conservateur au sein de l’UE. Elle crédibilise l’idée que ce courant n’est pas un accident électoral, mais une force politique durable. Elle offre aussi à l’extrême droite européenne un laboratoire politique grandeur nature, avec une stratégie assumée de remise en cause de l’État de droit, de contrôle des médias et de désengagement européen partiel. Et elle conforte des figures comme Orban, qui voient dans ce retour du PiS une validation de leur propre modèle.

Ce type de rassemblement comme celui du 9 juin, à la fois idéologique et stratégique, doit-il être vu comme une menace sérieuse pour le projet européen ?

Il faut prendre ces signaux très au sérieux. Ce qui se joue n’est pas une simple convergence électorale. C’est une tentative de reconfigurer l’Europe autour d’un autre projet : nationaliste, autoritaire, anti-libéral, et profondément identitaire. Et face à cela, les forces pro-européennes doivent proposer une alternative claire, audible et cohérente. Pas seulement un rejet, mais un projet. Et c’est toute la difficulté car aujourd’hui, on ne voit pas émerger de véritable projet ou récit fédérateur autour de l’Europe. Même ceux qui la défendent ne cessent de critique les règlementations, les lourdeurs administratives, les incohérences politiques. Tout cela est vrai, mais la critique seule, sans construction d’un projet nouveau, porteur d’espoir et d’efficacité, ne fait que jouer le jeu des extrêmes droites.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.