Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
La semaine dernière à Bruxelles, un nouveau sommet européen s’est tenu. On a beaucoup parlé de la venue du Président Volodymyr Zelensky et des enjeux liés à la guerre en Ukraine qui ont été abordés par les 27. Mais quels étaient les autres sujets de ce sommet ?
Ils étaient nombreux. Effectivement, l’attention s’est focalisée sur l’intervention du Président ukrainien. Mais ce Sommet était important aussi parce qu’il était l’occasion de parler de la situation économique de l’Union européenne. Et sur ce sujet, il n’y a pas que des bonnes nouvelles non plus. La crise sanitaire, puis les conséquences de la guerre en Ukraine, ont fragilisé l’économie européenne : l’inflation augmente, la BCE a été contrainte de relever ses taux d’intérêts, les coûts de l’énergie, notamment importée, explosent, la pression financière sur les ménages et les entreprises européennes ne cesse de croître. Bref, économiquement parlant, l’Europe a connu mieux. D’autant que les perspectives d’amélioration sont difficiles à visualiser à court ou moyen terme.
Pourquoi ?
Déjà, parce que la guerre en Ukraine s’éternise et que les effets des sanctions à l’égard de la Russie sur les matières premières et l’énergie continuent de peser sur les Européens. Ensuite, parce qu’on paye les conséquences de l’absence d’une politique industrielle européenne depuis de nombreuses années, et qu’on accuse un énorme retard dans de nombreux domaines stratégiques. Et enfin, parce qu’on subit de plein fouet la compétition internationale, notamment celle qu’exercent les États-Unis dans le cadre de leur politique de souverainisme économique. Au programme : réindustrialisation massive, subventions d’États, investissements colossaux dans la modernisation et le développement des infrastructures vieillissantes du pays, investissements aussi dans la recherche dans les hautes technologies et relocalisation de la production des semi-conducteurs. Bref, toute une stratégie industrielle et économique pour booster l’économie américaine, face à laquelle les Européens vont avoir du mal à rivaliser.
Les Européens ont-ils conscience de ces enjeux et sont-ils inquiets de la conjoncture économique actuelle ?
Oui ils en ont tout à fait conscience. On peut citer une étude récente réalisée par le Centre Kantar Public sur l’Europe, à l’été 2022 : elle montre que la première source de préoccupation des Européens, loin devant les enjeux climatiques, l’immigration ou les questions de santé par exemple, c’est l’augmentation des prix, l’inflation, le coût de la vie (pour 54 % des répondants). Et l’enquête montre aussi des différences territoriales : ce pourcentage est encore plus élevé en Allemagne et en Pologne, pays pour lesquels les conséquences économiques de la guerre en Ukraine sont encore plus importantes, du fait de leur degré de dépendance vis-à-vis de la Russie. Autre chiffre marquant : 53 % des Européens pensent que la situation économique de l’Europe va encore se dégrader dans les mois à venir (et ils sont 70 % en Allemagne à le penser).
Et quel regard portent-ils sur l’action européenne ? Est-ce que l’image de l’UE se détériore ?
Non et ça c’est une bonne nouvelle ! Contrairement à la crise économique entre 2008 et 2015, où la confiance dans l’UE avait considérablement chuté, cette fois, les Européens semblent plus confiants que jamais dans la capacité de l’Union européenne a géré la crise. Ou en tout cas, ils ont conscience que c’est à ce niveau-là de gouvernance qu’on peut agir, et non pas uniquement au niveau des États. En fait, on voit bien que les crises successives de ces dernières années (crise sanitaire, crise énergétique, maintenant crise économique), ont au contraire renforcé le degré de confiance des Européens vis-à-vis de l’UE. Alors, bien sûr, on partait d’assez loin, donc les taux restent encore trop bas. Mais ce qui est notable, c’est que ce taux augmente chaque semestre de plusieurs points depuis 2020. On est presque à 50 % d’image positive dans l’UE, ce qui constitue une nette progression. D’autant que 60 % des Européens considèrent que leurs intérêts nationaux sont bien pris en compte au niveau européen. Ça, c’est bon signe !
Qu’attendent-ils aujourd’hui de l’action européenne ?
Qu’elle les protège. Toujours selon cette même enquête, 63 % des Européens considèrent que le terme « protectrice » correspond à l’image qu’ils ont de l’Union européenne, soit près des deux tiers ! Cette vocation de protection, la construction européenne l’a toujours eue mais elle n’a pas toujours été perçue par les citoyens. Or, depuis la crise sanitaire et l’arrivée d’Ursula Van der Leyen à la tête de la Commission, il y a eu un changement, une prise de conscience nouvelle : celle qu’il fallait protéger les Européens, non pas en vertu de certains principes un peu flous ou même techniques comme la libre concurrence, les quatre libertés de circulation, ou autre, mais bien plutôt qu’il fallait les protéger du contexte international et de ses évolutions pas toujours favorables aux Européens.
Et concrètement, comment ce changement se traduit-il ?
Alors, il y a encore de net progrès à faire, mais ce qui s’apparente à une révolution copernicienne de l’UE a déjà commencé avec la suspension du Pacte de Stabilité en 2020, la modification des règles de concurrence pour permettre davantage d’aides d’États, le lancement d’un plan industriel européen ou encore la création d’un Fonds de souveraineté européen. L’un des enjeux principaux du sommet de la semaine dernière, c’était justement d’aller plus vite dans cette révolution pour trouver une réponse européenne, solidaire et efficace, à la politique souverainiste américaine, notamment l’IRA, le Reduction inflation act, qui menace l’industrie et les entreprises européennes. Et même si la réponse n’est pas encore à la hauteur, les discussions se poursuivent et les annonces de la Commission, suite aux pressions notamment de la France, vont dans le bon sens : c’est en tout cas l’objectif du plan industriel pour un Pacte Vert qui a été annoncé.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.