Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui vous souhaitez revenir sur la rencontre qui a eu lieu la semaine dernière entre le Président Emmanuel Macron, le chancelier Olaf Scholz et le Premier ministre Donald Tusk. Pour vous, cette rencontre acte la renaissance du Triangle de Weimar. Pourquoi ?
Cela faisait plusieurs mois déjà que le Triangle de Weimar reprenait du service. On avait vu le 12 février dernier une rencontre à Paris avec les ministres des Affaires étrangères des trois pays : France, Allemagne, Pologne. La déclaration commune qui avait suivi cette rencontre était très intéressante, notamment parce qu’elle mettait en avant des objectifs de coopération précis, comme la création d’un programme d’alerte et de réponse pour lutter contre la désinformation et la propagande russe en Europe, en particulier à l’approche des élections européennes. Et le 15 mars dernier, l’ambition est encore montée d’un cran puisque les dirigeants du Triangle de Weimar ont annoncé une nouvelle coalition de capacités pour l'artillerie à longue portée. Alors même que quelques jours plus tôt, le Chancelier allemand se disait totalement opposé à l’envoi de missiles longue portée, les fameux Taurus. Donc Emmanuel Macron et Donald Tusk sont parvenus à le convaincre de la nécessité d’aborder la question, et de le faire publiquement.
Mais cette rencontre elle s’inscrit aussi dans un contexte de montée des tensions entre la France et l’Allemagne suite aux récentes déclarations d’Emmanuel Macron.
Oui tout à fait. Rappelons que le 26 février dernier, le Président français a déclaré qu’il n’était pas exclu que les Européens envoient à un moment ou un autre des troupes en Ukraine. Les réactions ne se sont pas faites attendre. Tous ont rapidement désavoués les propos d’Emmanuel Macron, mais davantage sur la forme, que sur le fond. Le plus virulent dans sa réponse a été le chancelier allemand. Et, pour ne rien arranger, Emmanuel Macron en a rajouté une couche quelques jours plus tard à Prague en qualifiant de « lâches » ceux qui posaient des limites à leur engagement en Ukraine. Olaf Scholz s’est tout de suite (et à raison) senti visé par ces propos. Mais dans le même temps, l’Allemagne est secouée par un autre scandale : celui des écoutes des militaires haut-gradés qui discutent de l’éventualité de la livraison des missiles Taurus à l’Ukraine. On comprend que le Chancelier soit un peu à cran. Et c’est certain qu’à ce moment-là les relations entre la France et l’Allemagne sont plus que jamais tendues. Mais c’était sans compter sur la Pologne qui va réussir un travail de médiation !
C’est donc ça le Triangle de Weimar, réussir à faire de la médiation entre deux des trois pays qui n’arrivent plus à dialoguer ?
Oui d’une certaine manière. En fait le Triangle de Weimar est un cercle informel créé en 1991 à l’époque où la Pologne, comme tous les pays d’Europe centrale et orientale, venait d’être libérée de l’URSS et retrouvait son indépendance. À cette époque, tout le monde a conscience que les pays de l’ex-URSS doivent rejoindre la Communauté européenne, plutôt que de risquer de retourner à terme dans le giron de la Russie. Donc le Triangle de Weimar est créé pour préparer l’adhésion de la Pologne (puis des autres pays de l’ex-URSS). À ce moment-là, pour des raisons surtout historiques, les relations entre l’Allemagne et la Pologne n’étaient pas au beau fixe, et c’est donc la France qui jouait en quelque sorte le médiateur. Aujourd’hui, c’est la Pologne qui endosse ce rôle. Ça montre bien que, même s’il s’est beaucoup essoufflé depuis l’adhésion de la Pologne en 2003, le Triangle de Weimar peut renaitre de ses cendres lorsque la situation l’exige. Comme aujourd’hui.
Pourquoi ces trois pays sont-ils si importants pour vous dans le cadre de la guerre en Ukraine et de ses implications ?
Déjà parce que la France et l’Allemagne sont les plus gros pays européens en termes de populations ; et parce que la Pologne est le plus gros pour la partie de l’Europe centrale et orientale. Et puis aussi, parce qu’ils sont représentatifs des divergences d’opinion ou d’approches entre les États membres, surtout en ce qui concerne les questions de défense et l’Ukraine. Au départ, la France se pensait médiatrice du conflit, en dialoguant avec le Président Ukrainien et le Président Russe. On a vu ce que ça a donné... De son côté, la Pologne était beaucoup plus « va-t’en guerre » que les autres. Et l’Allemagne, en raison de sa dépendance économique à la Russie et de son approche pacifiste des conflits, a toujours eu un train de retard sur l’aide à l’Ukraine.
Mais aujourd’hui, les choses ont évolué.
Oui. On l’a vu et largement commenté, la France adopte une position radicalement différente, avec un mot d’ordre : tout faire pour que la Russie ne gagne pas. La Pologne, avec l’arrivée au pouvoir de Donald Tusk cet automne, est plus ouverte aux discussions avec ses partenaires européens. Et l’Allemagne soutient un effort de guerre plus poussé (même si cela va à l’encontre des valeurs profondément pacifistes d’Olaf Scholz). Donc la rencontre entre les trois dirigeants à Paris la semaine dernière montre que les dissonances peuvent être dépassées et que des convergences sur des sujets et des enjeux aussi sérieux que la guerre et la défense peuvent être trouvés. Je suis convaincue que l’Europe de la défense ne pourra voir le jour véritablement que si les trois pays du Triangle de Weimar font front commun, dépassent leurs divergences, et embarquent avec eux les autres pays : ceux du Sud pour la France, ceux du Nord pour l’Allemagne et ceux de l’Est pour la Pologne. Ils peuvent être les fers de lance de cette nouvelle Europe que beaucoup appellent de leurs vœux : une Europe plus souveraine et plus protectrice.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.