Retrouvez chaque semaine l'analyse d'une actualité européenne sur euradio avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Titulaire d'un doctorat en philosophie politique (Sorbonne Université), ses recherches portent sur la solidarité et la cohésion dans l’Union européenne et croisent plusieurs disciplines (philosophie, science politique et sociologie notamment).
Ces dernières semaines, la question migratoire a, à nouveau, été très débattue en Europe. Mi-septembre, après l’arrivée de plusieurs milliers de migrants en quelques jours sur l’île de Lampedusa en Italie, les discussions autour du Pacte sur la migration et l’asile se sont accélérées. Que contient ce Pacte exactement ?
Le Pacte sur la migration et l’asile a été proposé en septembre 2020 par la Commission européenne. Ça fait donc 3 ans et demi qu’il est en discussion entre les États membres, sans grandes avancées jusqu’à maintenant. Pour comprendre ce Pacte et les blocages qu’il suscite, il faut remonter presque 10 ans en arrière, en 2015, lorsque l’Europe se voit submergée par l’arrivée de près de 2 millions de migrants en un an.
C’est la Grèce, l’Italie et Malte qui sont les premiers pays impactés par cette crise et ils font alors appel à la solidarité européenne pour les aider à faire face à cet afflux massif qui n’avait pas du tout été anticipé. Mais cette solidarité attendue tarde à se mettre en place, les pays se divisent, certains construisent même des murs à leurs frontières, en totale contradiction avec les règles de l’espace Schengen, d’autres, comme l’Allemagne, décident au contraire d’ouvrir grand leurs frontières avant de faire marche arrière.
Oui on se souvient que c’était le chaos à cette époque.
Oui, c’était un vrai désastre en termes de gestion et de politique commune. Donc la Commission finit par proposer aux États membres une répartition des migrants par quota. Mais aucun État ne respectera les quotas qu’il était censé accueillir. Et les pays d’arrivée, ceux de première entrée, resteront seuls avec très peu de soutien pour gérer l’afflux de migrants. Jusqu’à ce que l’Allemagne finisse par négocier, quasiment toute seule, un accord avec la Turquie qui, en échange d’une somme conséquente, accepte d’empêcher les migrants de se rendre dans l’Union européenne.
Plusieurs années après, le bilan est navrant et vraiment pas à la hauteur d’une construction politique telle que l’UE : tout en prêchant les principes de l’état de droit et la défense des droits fondamentaux, les Européens laissent la Turquie gérer « à sa façon » les camps de migrants. Et le Président Erdogan n’hésite pas à faire chanter régulièrement les européens pour obtenir toujours plus. Bref, la gestion de la crise de 2015 a été catastrophique et a laissé des traces chez les Européens.
Est-ce que les choses ont évolué depuis 2015 ? Est-ce que les Européens se sont dotés d’outils capables de mieux gérer une prochaine crise ?
Pas de manière vraiment satisfaisante. Il y a bien eu l’activation du Fonds d’urgence pour l’Afrique (presque 5 milliards d’euros) qui finance plusieurs centaines de programme pour prévenir les départs de migrants. L’agence Frontex s’est aussi renforcée ces dernières années et multiplie son nombre d’interventions en mer. Et cet été, il y a eu un accord avec la Tunisie, un des pays de départ, pour prévenir là encore la migration. Mais ça ne résout pas le problème.
Lorsque des épisodes migratoires se produisent comme le mois dernier à Lampedusa, ou l’an passé aux Canaries, les pays se rejettent toujours la responsabilité et la solidarité est quasi inexistante. Et pendant ce temps-là, chaque État travaille dans son coin à des projets de réforme des politiques d’accueil. C’est le cas en France en ce moment, mais aussi récemment aux Pays-Bas. Or, tout le monde a bien conscience que le temps presse et qu’une nouvelle crise migratoire approche à grands pas. Cette fois-ci, si l’Europe n’arrive pas à la gérer, ça pourrait porter un coup fatal à la construction européenne qui avait déjà eu bien du mal à se remettre de la crise de 2015. Donc le Pacte sur l’asile et la migration est une première étape mais il n’a rien de révolutionnaire ou de particulièrement ambitieux.
Qu’est-ce qu’il contient ?
Il vise un partage plus équitable de l’accueil des demandeurs d’asile, pour soulager les pays de première arrivée. Donc ça veut dire revenir sur le règlement de Dublin III, qui depuis 2013 délègue l’instruction des demandes d’asile aux premiers pays de l’UE dans lesquels arrivent les migrants. Donc le Pacte propose un mécanisme de solidarité flexible : soit les États membres acceptent de relocaliser des demandeurs d’asile sur leur territoire, soit ils offrent une compensation financière pour chaque migrant non accueilli.
Ils peuvent aussi aider les pays de première arrivée par d’autres moyens : déploiement de personnel ou aide logistique. Le Pacte prévoit aussi de réduire la durée d’instruction des dossiers des demandeurs d’asile en proposant de nouvelles procédures aux frontières extérieures de l’UE, avec un retour automatique si le demandeur est débouté et qu’il ne remplit pas les conditions de l’asile. Et il y a aussi un volet qui concerne les pays de départ et de transit pour lutter contre les trafics et les réseaux de passeurs.
Pourquoi est-ce si long de faire adopter ce Pacte ?
Parce que, comme en 2015, des États membres refusent le principe d’un mécanisme obligatoire de solidarité. La Hongrie et la Pologne bien sûr, sans surprise, mais aussi l’Allemagne et les Pays-Bas s’y opposent, tout comme l’Autriche, la Slovaquie et la République Tchèque.
Alors, suite à la réunion du 28 septembre dernier entre les différents ministres de l’Intérieur, les Allemands se sont finalement ralliés au compromis général. Et il y a désormais une majorité suffisante d’États membres en faveur du Pacte pour qu’il soit accepté. Mais il va falloir maintenant convaincre les parlementaires européens. Et vu les compromis qui ont été fait pour satisfaire les États réticents, notamment l’Allemagne, il risque d’y avoir encore pas mal de débats avant que le Pacte ne puisse entrer en vigueur.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.