L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

L’Europe & la démocratie : seconde partie

© European Union 2023 - Source : EP L’Europe & la démocratie : seconde partie
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Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Aujourd’hui on poursuit avec vous le débat sur l’Europe et la démocratie. A quelques mois des prochaines élections européennes, vous souhaitez revenir sur la question du déficit démocratique dont est souvent accusée l’Union européenne.

Oui, je pense que c’est important de revenir sur cette question parce que c’est une critique à l’égard de l’Union européenne qui est très largement partagée, encore aujourd’hui.

Et vous pensez qu’elle n’est pas fondée ?

D’un côté elle l’est, de l’autre non. Je m’explique. La construction européenne n’a jamais été pensée sous le prisme d’une gouvernance démocratique. L’objectif des Pères fondateurs, ce n’était pas de reproduire à l’échelle communautaire les mécanismes démocratiques des échelles nationales. Ils ont souhaité créer un modèle hybride de gouvernance qui mêlerait surtout un modèle intergouvernemental, représenté par le Conseil européen, et un modèle communautaire, représenté par la Commission. L’association d’un troisième modèle, le modèle parlementaire avec le Parlement européen, n’est arrivée que bien plus tard, pour répondre justement à la critique du déficit démocratique. Mais il a fallu attendre 1979, soit près de 30 ans après les débuts de la construction, pour avoir un Parlement élu au suffrage universel direct.

Mais avec moins de pouvoir que les autres institutions.

Oui, c’est d’ailleurs pour ça que la question du déficit démocratique de l’UE a continué de se poser après 79. On lui a beaucoup reproché d’avoir créé un Parlement fantoche et d’avoir concentré les pouvoirs entre le Conseil, la Commission, et la Cour de Justice. Mais peut-on pour autant dire que la gouvernance de l’UE n’est pas démocratique ? Tout dépend de ce qu’on met comme définition derrière. Parce que les trois pouvoirs sont bien représentés au niveau européen : l’exécutif avec la Commission, le législatif avec le Parlement européen et le judiciaire avec la Cour de Justice de l’Union européenne. Il y a même une double représentation au niveau européen : celle des États via le Conseil européen (où siègent les chefs d’État et de gouvernement) et le Conseil de l’Union européenne (où siègent les ministres) ; et celle des citoyens via le Parlement.

Pourtant, malgré tous les éléments que vous décrivez, on voit bien que le modèle de gouvernance européen ne laisse pas une grande place à la voix des citoyens, d’autant que le poids du Parlement européen est relativement faible comparé à la Commission et au Conseil.

Oui, c’est parce qu’au départ, la construction européenne est pensée comme une démocratie d’experts et non comme une démocratie représentative telle qu’on en a l’habitude. Et on considère à ce moment-là que les chefs d’état et de gouvernement sont les mieux à même de représenter les citoyens, que ce sont les seuls intermédiaires légitimes et possibles dans cette nouvelle configuration. Mais très vite, on se rend compte que cette construction hybride, pour survivre, doit pouvoir susciter l’adhésion et la confiance des citoyens. La création de Parlement, l’élection au suffrage universel direct, et plus récemment le système du Spitzenkandidat qui prévoit que le Président de la Commission soit issu du parti européen arrivé en tête des élections, tout ça constitue des tentatives pour rapprocher l’Union européenne des citoyens et pour répondre au procès en illégitimité qui lui est souvent fait.

Mais on voit bien que ce n’est pas suffisant pour satisfaire les attentes des Européens en matière de pratique démocratique.

Oui c’est certain. Un pas décisif serait d’octroyer au Parlement un pouvoir d’initiative, qui est pour l’instant réservé à la Commission. Mais il faudrait changer les traités et on sait à quel point c’est difficile, voire impossible dans le contexte actuel.

Donc qu’est-ce que l’Union européenne peut faire pour se démocratiser encore davantage ?

Je pense qu’il y a un axe au moins sur lequel elle peut avancer. C’est la perméabilité des institutions aux lobbys et aux groupes de pression, qu’ils soient européens ou étrangers. L’affaire Monsanto en 2017 avait déjà exposé les institutions et mis en avant les lacunes règlementaires. Et l’année dernière, le Qatargate a montré que, même s’il y avait eu des améliorations, on était encore très loin d’avoir réglé le problème. Si les citoyens ont le moindre doute concernant la légitimité du processus de décision et de fabrication des règlements européens, alors on ne pourra pas avancer dans la construction européenne. Il y a donc urgence à mettre en place des règles pour protéger les institutions des influences extérieures, et pour contrôler et le cas échéant punir ceux qui dérogent aux règles au sein des institutions et qui se laissent, volontairement ou non, corrompre. L’exemplarité des dirigeants est de plus en plus importante et c’est devenu une exigence des citoyens, aussi bien au niveau national qu’européen. Et là-dessus, l’Union européenne peut agir. En tout cas elle a une vraie marge de manœuvre et d’amélioration.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.