Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
La semaine dernière, le 28 mars, vous avez organisé à Paris un séminaire de réflexion sur les enjeux du Triangle de Weimar, un forum de dialogue tripartite créé en 1991 entre la France, l’Allemagne et la Pologne. Quel était l’objectif de ce séminaire ?
C’est un séminaire qui traitait plus spécifiquement des coopérations en matière de défense et d’industrie de défense entre les trois pays constitutifs du Triangle de Weimar. L’idée, c’était de réunir des représentants français, allemands, polonais, des politiques, des industriels, des représentants de la société civile et des élus, pour identifier des points de convergence sur les questions de défense.
Pourquoi cette relation trilatérale vous semble encore importante aujourd’hui, 30 ans après sa création ?
Parce que ces trois pays sont finalement assez représentatifs des divergences d’opinions ou d’approches entre les États membres, en ce qui concerne les questions de défense. Je reviendrai dans un instant sur ce point. Mais avant, il faut bien comprendre que le contexte actuel est différent de celui de 1991 lorsque le Triangle de Weimar a été créé : à l’époque, la Pologne venait de sortir du giron de l’URSS qui s’était effondrée. Il n’y avait soudainement plus d’ennemis communs, que des défis communs, notamment pour accompagner l’intégration de la Pologne à l’Union européenne. Mais déjà en 1991, les dirigeants Français, Allemands et Polonais étaient conscients qu’ils représentaient chacun une vision différente de l’Europe, de ce qu’elle devait ou pouvait être. Et les relations entre la Pologne et l’Allemagne, historiquement, étaient un peu tendues. Donc intégrer la France à ce format de dialogue constituait un peu une garantie, à la fois pour les Polonais et pour les Allemands.
Mais aujourd’hui le contexte n’est plus du tout le même : en quoi ce format tripartite est-il toujours pertinent selon vous ?
Le contexte est différent, mais il y a un point commun entre 1991 et aujourd’hui : tout comme il y a 32 ans, l’Europe se trouve à un moment charnière de son histoire. En 1991, la perspective d’adhésion de la Pologne, mais aussi de tous les pays de l’ex-union soviétique d’Europe centrale et orientale, constituait un défi immense pour l’Union européenne : le plus grand élargissement de son histoire. Ce qui avait des implications dans tous les domaines : politique, institutionnel, économique, social, commercial et industriel aussi. Aujourd’hui, c’est la guerre en Ukraine et ses implications nombreuses, dans les mêmes domaines, qui fait que le Triangle de Weimar redevient plus pertinent que jamais pour préparer la suite, la transition du modèle européen, son avenir en somme.
Vous disiez que la France, la Pologne et l’Allemagne étaient trois États représentatifs des divergences au sein de l’UE. Comment est-ce que ça se matérialise concrètement ?
Déjà, concernant la guerre en Ukraine, ils représentent trois positions bien différentes. En ce qui concerne la France, dès le début du conflit, le Président Emmanuel Macron a voulu garder ouverte la voie diplomatique et continuer à négocier avec la Russie une sortie de crise. C’est une position qui a été vivement rejetée par la Pologne qui s’est inscrite dans une attitude beaucoup plus radicale vis-à-vis de la Russie (ce qui s’explique par des facteurs à la fois historiques et géographiques). Quant à l’Allemagne, du fait de sa dépendance commerciale très forte avec la Russie, sa position a constitué un entre-deux assez inconfortable, notamment lorsqu’il a été question des sanctions et des livraisons d’armes. De manière plus générale, sur la défense, là aussi les positions des trois pays sont représentatives de trois approches différentes en Europe : la France a une tradition militaire forte et elle chérit son autonomie, notamment vis-à-vis de l’OTAN, quand, au contraire, la Pologne semble tout miser sur la relation transatlantique et la protection otanienne. Quant à l’Allemagne, elle sort à peine d’une longue tradition de neutralité vis-à-vis des questions de défense.
Les ambitions affichées par les trois pays en matière de défense sont très différentes. Quelles convergences peut-on imaginer aujourd’hui ?
Il n’y aura de convergence possible que si les trois pays sortent de leurs positions parfois radicales sur ces questions et pensé une réponse collective. L’Allemagne a déjà fait un pas de géant puisqu’elle a considérablement augmenté ses budgets de défense et accepté la livraison d’armes à l’Ukraine. La France a développé un concept d’autonomie stratégique qui prend en compte son autonomie nationale, son rôle dans l’OTAN, ainsi que dans une Europe de la défense. En ce qui concerne la Pologne, elle a annoncé vouloir devenir la première armée d’Europe et elle développe des partenariats nombreux, avec l’OTAN d’abord, mais aussi au sein de l’UE. Face à toutes ces stratégies nationales, il y a aujourd’hui un besoin réel de convergence au niveau européen pour ne pas disperser les moyens et pour mutualiser les coûts. La Commission a mis en marche plusieurs programmes pour ça, le bilatéral fonctionne aussi très bien depuis le début de la guerre. Mais les besoins sont énormes en termes de renouvellement des stocks, d’interopérabilités des matériels aussi, et tout simplement de montée en puissance des armées européennes. Face à tous ces enjeux, le dialogue entre les États est primordial. Et le Triangle de Weimar est un des formats de dialogue et de coopération les plus pertinents, même s’il n’est bien sûr pas suffisant, pour accroître les convergences et la solidarité intra-européenne.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.