Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui Joséphine Staron, vous souhaitez revenir sur un point que vous avez évoqué dans l'une de vos dernières chroniques, l’influence européenne. Pourquoi ce thème ?
Parler de l’influence de l’UE à l’international comme un objectif ou une priorité, c’est quelque chose d’assez nouveau. Ces derniers mois, on a le sentiment que les Européens ont enfin pris conscience de l’évolution du monde et du contexte international, une évolution qui va à l’encontre d’une certaine idéologie qui se diffusait largement en Europe, celle de la fin de l’Histoire, et avec elle la fin des conflits armés, la mondialisation pacifique et le renforcement des institutions du multilatéralisme.
Cette idéologie a fait prendre beaucoup de retards aux européens, dans de nombreux domaines. Et surtout, elle leur a fait négliger un objectif crucial : celui de renforcer leur influence au niveau international pour peser dans les affaires du monde, mais surtout pour être en capacité de protéger efficacement les Européens.
Ce changement de vision, vous l’identifiez comment ?
Avec la crise économique et financière de 2012, suivie par la crise sanitaire et l’inflation qui en a découlé, on a progressivement assisté à la mort du concept de mondialisation heureuse sur laquelle reposait la construction européenne, surtout depuis les années 1990 et la supposée fin des Blocs. Le meilleur exemple pour illustrer ce changement qu’on peut qualifier d’historique, c’est la suspension des sacrosaints critères de Maastricht et du Pacte de Stabilité, en 2020.
La théorie nordiste de la rigueur budgétaire et de la croyance indéfectible dans le marché économique s’est vite heurtée à la réalité : lorsqu’une crise mondiale surgit, telle que la pandémie de Covid-19, que des millions d’emplois sont menacés, que le pouvoir d’achat s’effondre et que l’inflation bat des records, les pouvoirs publics doivent reprendre la main et compenser les inégalités créées. C’est un des fondements du contrat social et la clé pour éviter une grave crise sociale et politique, dont nos démocraties auraient beaucoup de mal à se remettre.
La crise sanitaire est effectivement perçue comme un véritable tournant. Est-ce qu’elle induit également une évolution de la politique d’influence de l’UE ?
Oui incontestablement. Et la guerre en Ukraine vient renforcer cette évolution. L’exemple de la pandémie est frappant puisque l’Union européenne s’est révélée à cette occasion comme une véritable puissance d’influence à l’international. Comme le rappelle le Commissaire européen Thierry Breton, l’UE est devenue « la pharmacie du monde » en devenant le premier fabriquant et le premier exportateur au monde de vaccins. Et dans cette stratégie de produire et diffuser des vaccins, l’UE s’est heurtée notamment à la résistance des États-Unis qui refusaient d’exporter leurs principes actifs, essentiels à la composition des vaccins. La Commission est donc entrée dans un rapport de force avec l’administration américaine pour imposer la création d’un instrument de réciprocité. Et ça a fonctionné.
Concrètement, quels sont les atouts de l’Union européenne et sur quoi elle peut compter pour renforcer son influence à l’international ?
Les atouts sont nombreux. Déjà, l’UE dispose d’un véritable pouvoir normatif. Même si les normes américaines se diffusent largement, les Européens n’ont pas dit leur dernier mot. C’est tout l’enjeu des régulations européennes sur le numérique qui ont été votées récemment : le Digital Market Act et le Digital Services Act, qui imposent des normes de protection des données des utilisateurs européens. C’est l’ensemble des plateformes numériques qui sont impactées par la législation européenne, notamment les GAFAM. À son pouvoir normatif, s’ajoute son pouvoir économique et commercial : avec un marché de 455 millions de consommateurs, ça lui confère un vrai poids. Et d’ailleurs, ces derniers mois, plusieurs mécanismes ont été introduits pour imposer de nouvelles normes en matière commerciale à ses partenaires : notamment la taxe carbone aux frontières, et les clauses miroirs pour imposer aux autres puissances commerciales de respecter les mêmes normes sanitaires, sociales et environnementales aux produits importés.
Quelles sont les priorités que les États européens devraient se fixer dans les 10, 20 prochaines années pour renforcer collectivement leur capacité d’influence ?
Plus les Européens seront collectivement souverains, plus ils pourront accroitre leur influence. Et cette souveraineté, elle doit d’abord être énergétique. Cela implique une nouvelle stratégie de l’UE en matière d’approvisionnement énergétique et de diversification de ses importations. L’objectif c’est de ne pas remplacer une dépendance, celle vis-à-vis de la Russie, par une autre, comme le Qatar ou les États-Unis. C’est la même chose en matière de défense ou de souveraineté industrielle.
Il serait naïf et même dangereux de croire que l’UE peut atteindre l’autarcie et la souveraineté pleine et entière. Mais en étant plus puissante et en usant de son influence elle peut sécuriser sa souveraineté, ça passe notamment par un plus grand investissement dans les organisations internationales : si les règles de l’OMC ne lui conviennent plus, elle doit contribuer à les changer, et non pas s’en retirer comme le font certains États. Pareil pour l’ONU et pour l’OTAN. La proposition d’un programme d’achat conjoints d’armement va dans le bon sens : elle montre, comme pour les vaccins, la force de frappe des États européens lorsqu’ils agissent ensemble, à 27, et non pas individuellement. Ce n’est qu’ensemble qu’ils bénéficient d’une crédibilité et donc d’une réelle influence à l’international.