Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui vous souhaitez revenir sur les élections législatives aux Pays-Bas qui ont eu lieu la semaine dernière. Le parti de Geert Wilders, à l’extrême droite de l’échiquier politique, les a remporté. L’Europe s’inquiète des conséquences de cette élection. A-t-elle raison ?
Effectivement, la victoire du parti de Geert Wilders inquiète les chancelleries européennes, d’autant qu’elle n’avait pas réellement été anticipée ni considérée comme plausible en amont des élections. Donc le choc est important. Et le fait que sa victoire le 22 novembre dernier ait été saluée par Viktor Orban ou Marine Le Pen montre bien les valeurs ou le camps qu’il représente en Europe, celui d’une droite dure, populiste et franchement eurosceptique, voire europhobe. Par ailleurs, on connait sa sympathie avec la Russie et il a déjà indiqué qu’il ne soutiendrait plus l’Ukraine. Il s’opposera donc aussi très certainement à l’adhésion à l’UE. Mais il faut quand même relativiser un peu cette victoire. S’il a remporté les élections, il va maintenant devoir former une coalition, il n’a pas assez de voix pour gouverner seul. Donc quoi qu’il arrive il va devoir faire des compromis, revoir sa ligne politique pour trouver des partis au centre droit qui voudront bien gouverner avec lui. Ça ne va pas être si simple.
Revenons un peu sur le personnage : qui est Geert Wilders ?
La victoire de Wilders, elle intervient après plus de 20 ans dans l’opposition, durant lesquelles il s’est forgé une réputation peu flatteuse. On le surnomme même le « Donald Trump des Pays-Bas », pour faire référence à ses déclarations provocatrices. Il a forgé son parti autour de la dénonciation de l’Islam et de l’immigration qu’il dénonce depuis toujours comme le fléau majeur des Pays-Bas et de toute l’Europe. Il a même été condamné par la justice a plusieurs reprises pour ses propos. Autre fait notable : contrairement à des personnalités politiques telles que Viktor Orban, Marine Le Pen ou encore Giorgia Meloni auxquelles on l’identifie souvent, Wilders prône une sortie de l’Union européenne, de la zone Euro et de l’espace Schengen. Il a d’ailleurs annoncé vouloir organiser un référendum sur cette question. Il est donc clairement europhobe, tandis que les droites radicales en Hongrie, en France, en Italie, mais aussi en Slovaquie ne défendent plus l’idée d’une sortie de l’UE, mais questionne son fonctionnement actuel. Mais là encore, puisqu’il va devoir former une coalition et que les autres partis politiques des Pays-Bas sont farouchement opposés à une sortie de l’UE, on doute qu’il parvienne à ses fins. Le risque existe bien sûr, mais il est minime.
Est-ce que sa victoire signifie que les Hollandais sont devenus europhobes ?
Non aucunement. En revanche il y a une crise sociale importante aux Pays-Bas qui explique ces résultats. Déjà, cela faisait 13 ans que le gouvernement du libéral Mark Rutte était en place. Donc après 13 ans, il y a eu besoin de changement. C’est d’abord ça la signification de la victoire du parti de Geert Wilders. Et c’est aussi la cause de préoccupations grandissantes aux Pays-Bas concernant trois enjeux majeurs. Le premier c’est la crise du logement. Les Pays-Bas sont le pays le plus densément peuplés d’Europe, avec 18 millions d’habitants sur moins de 42 000 mètres carrés, dont une bonne partie est consacrée aux terres agricoles. Les Hollandais sont les deuxième exportateur mondiaux de produits agroalimentaires. D’où la place prépondérante de l’agriculture dans l’économie du pays. C’est d’ailleurs le second enjeu actuel : l’agriculture. Les agriculteurs hollandais dénoncent les règlementations européennes en faveur du climat car elles jouent négativement sur leur compétitivité et leur productivité. Mais ils sont loin d’être les seuls en Europe. Il n’y a que voir le débat sur le glyphosate et sa prolongation jusqu’en 2033. Et le troisième enjeu, c’est l’immigration. Avec plus de 400 000 immigrés pour une population de 18 millions d’habitants, l’enjeu est colossal. C’est d’ailleurs ça qui a fait chuter le gouvernement de Mark Rutte en juillet dernier : l’incapacité à réunir une majorité sur une réforme de l’immigration.
Les relations entre la France et les Pays-Bas ont longtemps été compliquées. Mais elles s’étaient nettement améliorées ces dernières années. L’élection de Geert Wilders aura-t-elle un impact sur la relation avec la France ?
C’est à craindre oui. En effet, Emmanuel Macron et Mark Rutte entretenaient de bonnes relations, d’autant qu’ils faisaient partis du même groupe au Parlement européen, Renew Europe. Ils défendaient ensemble le projet de réindustrialisation de l’Europe, dans une perspective de souveraineté européenne. Avec Geert Wilders, les projets européens et franco-hollandais risquent effectivement d’avoir du plomb dans l’aile. Mais il faut quand même relativiser : les Pays-Bas sont la 5ème économie d’Europe, et la 17ème économie mondiale. Le port de Rotterdam est le premier d’Europe. Ils sont en situation de plein emploi et leur taux de croissance en 2021/2022 dépassait les 4 %. C’est donc un pays économiquement important pour lequel le commerce et le marché intérieur sont essentiels. On voit donc mal comment ils pourraient se passer de l’Europe aujourd’hui. Par ailleurs, même si la droite radicale gagne du terrain en Europe, la Pologne a basculé le mois dernier avec la victoire de Donald Tusk. Ça montre bien que rien n’est figé.