Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Cette semaine, les négociations d’adhésion à l’Union européenne de l’Ukraine et de la Moldavie ont démarré au Luxembourg. L’adhésion, c’est pour bientôt ?
Cette nouvelle phase dans le processus d’adhésion est très importante mais l’adhésion ne se fera pas tout de suite. Rappelons rapidement les différentes étapes du processus. Le 28 février 2022, quelques jours après l’invasion Russe, l’Ukraine demande à adhérer à l'UE. Le 17 juin 2022, soit très peu de temps après, la Commission rend un avis favorable concernant cette demande et une semaine plus tard, le Conseil européen accorde officiellement le statut de candidat à l’Ukraine. Depuis, il y a eu de nombreuses rencontres et discussions concernant les négociations d’adhésion. Et celles-ci ont été officiellement ouvertes, pour l’Ukraine et la Moldavie, le 25 juin, lors de la première conférence intergouvernementale avec l'Ukraine. Ensuite, chaque année, les institutions européennes feront une sorte de bilan des avancées des pays dans le processus d’adhésion pour voir si les réformes mises en œuvre sont suffisantes. Mais ce processus pourrait prendre 5 ans, 10 ans ou 20 ans.
Certains estiment que le processus pourrait être accéléré, vous n’y croyez pas ?
Je ne vois pas comment. Premièrement, tant que l’Ukraine sera en guerre et que ses frontières ne seront pas totalement figées dans le cadre d’un accord de paix, elle ne pourra pas intégrer l’UE. Ensuite, les réformes nécessaires à conduire pour correspondre aux standards européens sont, pour la plupart, difficiles à réaliser en temps de guerre. Donc là encore, la paix est nécessaire. Ensuite, il va falloir lever les réticences des peuples européens, notamment la sphère agricole. On a vu il y a quelques mois les contestations massives, dans tous les pays européens, des agriculteurs, inquiets de voir arriver sur le marché intérieur des denrées ukrainiennes à bas coûts. Pour éviter le risque de dumping social et économique, il va falloir que le marché ukrainien s’adapte aux standards du marché intérieur, ce qui va présenter un vrai coût social pour la population. Encore une fois, en temps de guerre, on ne peut rajouter plus de difficultés économiques à une population qui est déjà exsangues. Donc la clé de l’adhésion future de l’Ukraine à l’UE réside avant tout dans l’acquisition d’une paix durable. C’est une condition sine qua non. Et on sait que la paix n’est malheureusement pas une perspective crédible, à court terme.
L’Ukraine risque donc d’attendre encore longtemps aux portes de l’UE, sans aucun bénéfices ?
Si, des bénéfices il y en aura. Le processus d’adhésion prévoit des paliers successifs. Les accords économiques et commerciaux avec l’Ukraine vont progressivement s’intensifier, l’UE contribue et contribuera encore à la reconstruction économique et sociale du pays et elle accompagnera le gouvernement dans la mise en œuvre des réformes de gouvernance nécessaires. Mais comme tout processus d’adhésion, il y aura aussi des sacrifices à faire. Mais les Ukrainiens ont déjà montré qu’ils étaient prêts à tout pour intégrer l’UE donc ils finiront par rentrer. Mais pas à n’importe quelle condition et donc pas à court terme. Pour comprendre le processus d’intégration, il est intéressant de rappeler ce qu’il s’est passé avec la Pologne par exemple. Dès la Chute du Mur de Berlin en 1989, l’UE et la Pologne signe un premier accord de coopération. En 1990, les négociations d’adhésion démarrent. Mais ce n’est qu’en 1994 qu’entre en vigueur l'accord d'association entre la République de Pologne et les Communautés européennes. Et le processus ne démarre officiellement qu’en mars 1998. Il faudra ensuite attendre 2004 pour que la Pologne rejoigne l’Union européenne. Donc le processus aura duré 15 ans.
Mais l’Ukraine et l’UE ont signé leur premier accord d’association en 2014, donc si on estime qu’il faut entre 10 et 20 ans pour adhérer, on peut entrevoir une perspective d’adhésion avant 2030 ?
Techniquement oui. Mais si on reprend l’exemple Polonais, on voit qu’il a fallu que le pays fasse des réformes très dures, drastiques pendant des années. L’Ukraine a commencé en 2014, mais les difficultés politiques internes puis l’invasion de la Russie ont nécessairement ralenti le processus de transformation. D’un côté, la guerre a permis à l’Ukraine de voir sa candidature acceptée plus rapidement qu’elle ne l’aurait sans doute été s’il n’y avait pas eu l’invasion de Poutine, mais de l’autre, elle va retarder inévitablement le processus d’intégration. Il va donc falloir être patient.
Est-ce que la situation politique française peut avoir un impact sur l’adhésion de l’Ukraine ?
Pas à court terme non puisque les négociations ont déjà été ouvertes. Il est trop tôt pour savoir quelle sera la position de la France dans les mois et les années à venir. Jusqu’ici, la position défendue par Emmanuel Macron était plutôt très pro-Ukraine. Il est certain que ce ne sera pas la priorité du prochain gouvernement français, quel qu’il soit. C’est plus le soutien militaire et financier à l’Ukraine dans sa lutte contre l’invasion russe qui est aujourd’hui menacé par la situation politique française. Les prochains mois seront décisifs et les résultats de l’élection américaine de novembre détermineront sans doute la suite.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron