Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
On poursuit cette semaine avec vous l’exercice de prospective que vous avez commencé la semaine dernière et on se projette sur l’année 2024. C’est une année électorale importante, pas seulement en Europe.
Oui, en 2024, il y aura des élections dans 76 pays, qui représentent un total de 4,1 milliards de personnes soit 51 % de la population mondiale. On pense bien sûr à la Russie qui tiendra ses élections en mars, mais il y a la Finlande en janvier, le Brésil, le Mexique, le Bangladesh, l’Inde, sans oublier aussi les élections européennes de juin prochain. Mais ce ne sont pas forcément toutes des élections libres. Selon le journal The Economist, seuls 43 pays sur les 76 tiendront des élections libres et conformes aux principes de la démocratie. C’est quand même plus que la moitié.
Certaines élections auront plus d’importance et d’impact que d’autres sur le monde, et sur l’Europe ?
Oui c’est certain. Il y a peu de suspense sur l’élection russe. En revanche, l’élection américaine suscite beaucoup d’inquiétudes. En Europe, la poussée des populismes et des discours radicaux fait aussi craindre à des surprises dans les urnes, comme en 2023 avec la victoire en Slovaquie de Robert Fico ou encore celle de Geert Wilders aux Pays-Bas. A contrario, on a aussi vu qu’en Pologne, c’est l’effet inverse qui s’est produit puisque c’est le parti du centriste Donald Tusk qui l’a emporté. Donc évidemment rien n’est joué dans les pays où les élections sont libres. En ce qui concerne les élections du Parlement européen qui auront lieu en juin, les inquiétudes demeurent puisque sondage après sondage, les intentions de vote semblent favoriser de plus en plus les partis eurosceptiques, voire europhobes.
Beaucoup s’inquiètent en Europe de la possible réélection de Donald Trump en novembre prochain. Quelles seraient les conséquences pour l’Europe, pour le monde ?
La victoire possible de Donald Trump peut être perçue comme une grande menace si nous Européens ne nous y préparons pas, ou alors comme une opportunité, si nous nous en donnons les moyens. Pour l’instant, nous sommes plutôt dans le premier cas de figure. L’ancien président américain n’a jamais caché son désir de se désengager de tous les accords internationaux couteux pour les États-Unis, au premier rang desquels l’OTAN. On se rappelle cette scène surréaliste de 2020 ou il invectivait Ursula von der Leyen en lui disant « vous nous devez 2 milliards de dollars », faisant référence à la contribution des États-Unis au budget de l’OTAN. Depuis le début de la guerre en Ukraine, il ne cesse de répéter qu’une fois réélu, il s’empressera de mettre fin aux aides américaines colossales et poussera les Ukrainiens à négocier avec la Russie.
En quoi est-ce que la fin de l’aide américaine serait dommageable pour l’Europe ?
Parce qu’à l’heure actuelle, les Européens ne seraient pas en capacité de combler le manque si les Américains se désengageaient. La semaine dernière, je parlais de solidarité et de souveraineté. En ce qui concerne l’OTAN et la défense, il y a très clairement un manque de vision partagée en Europe. D’un côté, les Français sont quasiment les seuls à défendre l’idée d’une véritable défense européenne, mais de l’autre ils sont peu crédibles du fait de leur position de surplomb vis-à-vis de l’OTAN. Alors que la majorité des pays européens ont construit leur propre système de défense autour et par leur adhésion à l’OTAN. Nous ne sommes toujours pas sortis de l’opposition peu constructive entre les partisans du statu quo, c’est-à-dire l’OTAN comme seul outil de défense ; et les partisans (peu nombreux) d’une Europe de la défense en remplacement ou à côté de l’OTAN.
Une troisième voie est-elle possible ?
Oui et c’est d’ailleurs Donald Trump lui-même qui nous y incitait dès 2020. L’Europe doit investir davantage dans l’OTAN en Europe, pour réduire petit à petit notre dépendance vis-à-vis des États-Unis. Ou plutôt pour instaurer un rapport d’équilibre entre les Européens et les Américains. Tout comme cela n’aurait pas de sens de décréter du jour au lendemain que les États membres de l’UE doivent acheter leur matériel militaire en Europe, ça n’a pas plus de sens d’acheter exclusivement du matériel aux États-Unis ou à la Corée du Sud comme le font les Polonais par exemple. La troisième voie, c’est d’investir massivement et conjointement dans l’industrie de défense européenne, en France certes puisqu’elle est déjà assez puissante, mais ailleurs en Europe également, pour là encore, créer un équilibre entre les achats hors Europe et les achats européens.
Mais tout cela prend du temps. Or, la perspective de la réélection de Donald Trump s’inscrit dans le très court terme, moins d’un an.
Oui et on a déjà perdu beaucoup trop de temps. Ce sera difficile désormais de le rattraper mais il faut bien commencer quelque part. L’année 2024 peut encore être celle du sursaut européen, de la mise en place des conditions nécessaires à la création d’un véritable rapport de force, qui est aussi un rapport d’équilibre, avec nos alliés qui sont aussi nos concurrents. Il en va désormais de la survie même du projet européen, et bien au-delà de la capacité des États du Vieux Continent à continuer de peser dans les affaires du monde.