Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
Nous n’avons pas parlé ensemble jusqu’ici de la crise de la Covid-19 et de son impact sur les relations franco-allemandes. Mais quelques jours après une prise de parole importante du président fédéral, c’est sans doute l’occasion. Tout d’abord, où en est-on en France et en Allemagne ?
Nos deux pays sont bien sûr concernés par la poursuite de l’épidémie, avec une cinquième vague qui a touché l’Allemagne plus tard que la France. Dans un pays où la population est moins vaccinée : 75 % environ ont au moins une dose, contre plus de 79 % en France - et les taux sont plus faibles à l'est de l'Allemagne.
En France, nous nous préparons à alléger les mesures de lutte contre l’épidémie. Alors que face à l’augmentation des cas en Allemagne, le gouvernement et les ministres-présidents des 16 Länder ont choisi de maintenir les dispositifs existants. Des dispositifs qui ont, depuis le début, été beaucoup moins stricts qu’en France.
Le débat politique actuel outre-Rhin concerne l’introduction de la vaccination obligatoire. Avec des difficultés : la campagne des législatives n’a pas vraiment porté sur la Covid-19, ni les négociations de coalition. Et les trois partis de la coalition “feu tricolore” ne sont pas tous d’accord, ce qui a incité le gouvernement fédéral à laisser la plume aux députés. Le débat au Bundestag le 26 janvier dernier a souligné combien les lignes de fracture traversent les partis eux-mêmes. Un vote devrait avoir lieu fin mars. En mal de cohésion, le gouvernement fédéral s’inscrit de manière paradoxale dans la continuité des mesures de la grande coalition.
Vous avez parlé des mesures prises par le gouvernement fédéral et les ministres-présidents des Länder. Contrairement à la France, l’Allemagne connaît un système fédéral. Qu’est-ce que cela implique dans la gestion de la crise ?
Nos modes de fonctionnement ne sont pas les mêmes, ils sont l’héritage de l’histoire et de nos cultures politiques. La France est un pays centralisé de longue date. L’Allemagne au contraire n’a vraiment connu d’Etat central qu’au cours d’un chapitre très sombre de son histoire. Le fédéralisme y est d’ailleurs inscrit dans la Loi fondamentale. Chaque Land dispose de sa propre constitution, d’un gouvernement, d’un parlement, de tribunaux. Et est représenté au niveau fédéral au sein du Bundesrat.
Chaque Land peut d’ailleurs appliquer des règles différentes, afin de s’adapter à la situation locale. C’est la subsidiarité : selon ce principe, il faut agir au niveau supérieur uniquement si le niveau inférieur ne peut agir que de manière moins efficace. Néanmoins gouvernement fédéral et Länder coopèrent pour mener à bien les politiques publiques. Les deux systèmes, français et allemand, ont bien sûr à la fois leurs avantages et leurs défauts. En matière d’efficacité et de rapidité de mise en œuvre, d’acceptation locale, ou de simplicité des démarches en cas de déplacement entre territoires.
Quel a été l’impact de la pandémie et de la gestion de crise sur les relations franco-allemandes ?
En mars-avril 2020, nous avons connu des fermetures de frontières, avec des conséquences très concrètes pour les habitants et les travailleurs frontaliers. La pandémie a ainsi attiré l’attention sur l’importance de la coopération franco-allemande. Et elle a également confirmé que le réflexe franco-allemand ne va pas forcément de soi. D’autant que les difficultés pratiques à organiser des rencontres en personne n’a sans doute pas facilité les choses. La crise a donc poussé dans un second temps à une plus grande coopération, dans les zones frontalières et au-delà, en matière sanitaire ou économique.
La Covid-19 a suscité en Allemagne un problème politique avec le mouvement des Querdenker. Qui sont-ils ? Pourquoi une telle inquiétude en Allemagne à leur sujet ?
On peut traduire ce terme de “Querdenker” par “ceux qui pensent différemment”. Ils se présentent avant tout comme des défenseurs de la liberté contre un pouvoir vu comme autoritaire. Mais le mouvement reste très divers. Il est né à l’ouest, où il est le plus souvent non-politique ou porté par des personnes qui votent plutôt à gauche. Mais les manifestations les plus nombreuses sont à l’est. Ce sont alors souvent des nationalistes et identitaires, très méfiants vis-à-vis des institutions. Trente ans après la chute du Mur, il reste deux Allemagne dans les mentalités. Les critiques sont souvent les mêmes que celles contre la politique d’accueil des réfugiés en 2015, rappelait Thomas Wieder, le correspondant du Monde en Allemagne.
Or le mouvement des “Querdenker” se radicalise. Avec une inquiétude qui croît autour de ses manifestations radicales et antisémites. Le président fédéral, Frank-Walter Steinmeier, a ainsi dénoncé récemment une “banalisation” de l’antisémitisme, et appelé la société civile à se mobiliser. Une inquiétude qui pose la question de la gestion de la crise, mais aussi celle de la liberté d’expression.
Marie-Sixte Imbert au micro de Cécile Dauguet