Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
Ce dimanche, le 24 avril, avait lieu le second tour de l’élection présidentielle en France. Une élection observée avec beaucoup d’attention en Europe et en Allemagne. Quel est le bilan qu’en fait notre premier partenaire ?
Oui, le second tour a beaucoup plus attiré l’attention. Le débat, mercredi dernier, a d’ailleurs été diffusé en direct sur la chaîne publique Phoenix. Ce second tour a beaucoup plus intéressé pour les raisons que l’on a déjà évoquées ensemble : le poids des extrêmes et la présence au second tour de l’extrême-droite - en Allemagne, elle est ostracisée. Ce second tour a aussi mis en lumière les risques de fracturation politique, de division, et de transformation des législatives de juin prochain en troisième tour de la présidentielle. D’autant que le vote utile, surtout dès le premier tour de la présidentielle, n’est pas un vote d’adhésion.
Enfin, nos partenaires avaient bien identifié le risque que l’élection de Marine Le Pen aurait représenté, à la fois pour le moteur franco-allemand et la construction européenne. L’Europe était moins centrale dans les débats qu’en 2017, mais le journal Tagesspiegel de Berlin écrivait ce samedi : “Le calme avec lequel l’Europe démarre ce week-end est surprenant. On s’accroche à l’espoir et aux sondages. Des sondages qui donnaient les Brexiters comme Trump perdants”.
Avec 58,5 % des voix pour le président sortant, Emmanuel Macron, contre 41,5 % pour Marine Le Pen, nos partenaires ont-ils été rassurés ce dimanche ?
Certainement, la France, présidente du Conseil de l’Union européenne, ne change pas de cap européen et international. Nous n’allons pas sortir de l’Europe, mais bien continuer à porter l’ambition d’une France forte dans une Europe forte. Le débat européen a infusé ces dernières années les questions de souveraineté stratégique, d’autonomie stratégique, à l’initiative de la France. La pandémie, la guerre en Ukraine n’ont d’ailleurs fait que rappeler, malheureusement, l’importance de ces enjeux.
Les messages européens et internationaux de félicitations ont d’ailleurs été très nombreux au soir du 24 avril. En Allemagne, le soulagement est assez général, et partagé à travers quasiment l’ensemble du spectre politique.
Vous parlez de “soulagement”, c’est plus ce sentiment qui est partagé qu’un enthousiasme ?
Oui, la correspondante à Paris du Spiegel, Britta Sandberg, écrivait à propos d’Emmanuel Macron, "Il a ainsi sauvé la France et l'Europe d'une présidente d'extrême droite à l'Elysée". C’est cela qui est sans doute avant tout retenu. D’autant qu’Emmanuel Macron a perdu des voix, 2 millions, par rapport à 2017. Au contraire de Marine Le Pen qui en a gagné 2,6 millions. Et d’autant plus alors que l’abstention, avec plus de 13 millions d’électeurs, est en fait arrivée deuxième de ce second tour. Pour le journal Die Welt, "le paradoxe de cette élection est que Macron a été élu par presque 60 % des Français mais qu'il devra gouverner contre 75 % d'entre eux". Les questions sociales, de pouvoir d’achat, les questions écologiques, restent centrales, les tensions ne semblent pas apaisées.
L’Allemagne avait d’ailleurs exprimé son inquiétude avant ce second tour.
Oui, Olaf Scholz, le Chancelier fédéral, a signé vendredi dernier une tribune dans Le Monde. Avec ses homologues, le Premier ministre du Portugal et le Premier ministre espagnol. Ils y soulignaient que “Nous avons besoin d’une France qui défende nos valeurs européennes communes”. Ainsi que les dangers que représentaient “une candidate d’extrême droite qui se range ouvertement du côté de ceux qui attaquent notre liberté et notre démocratie. Ils ne soutenaient pas directement Emmanuel Macron, mais cela reste une prise de position assez inédite dont les chefs d’Etat et de gouvernement s’abstiennent d’ordinaire.
Moteur franco-allemand, Union européenne, quelles sont désormais les perspectives à la suite de cette élection présidentielle en France ?
La présidence française du Conseil de l’UE va sans doute chercher à donner un nouveau coup d’accélérateur. La période de réserve gouvernementale est finie, les objectifs fixés sont ambitieux et il reste encore du travail avant fin juin prochain. A la fois pour obtenir le maximum d’accords, mettre en orbite et infuser le maximum de priorités. L’Allemagne est en bien sûr un partenaire clé.
Cette infusion des priorités françaises va sans doute être facilitée par le fait qu’Emmanuel Macron va être renforcé à l’échelle européenne. Les eurosceptiques sont affaiblis, la coalition allemande a pris ses marques mais se trouve parfois désunie, avec un chancelier parfois affaibli sinon absent du débat public. Les positions françaises et allemandes convergent de plus en plus, alors qu’il y a de nombreux enjeux sur la table - budgétaires, industriels, ou encore de défense.
En revanche, si nos partenaires se demandent désormais tous les cinq ans quelle est la réalité de notre appartenance et de notre engagement européens, cela peut affaiblir à terme notre influence.
Pour le moteur franco-allemand plus spécifiquement, quelles peuvent être les perspectives ?
Certainement celles d’un renforcement continu des relations, alors que Marine Le Pen voulait mettre fin aux coopérations. Olaf Scholz, a déclaré qu'il était heureux de poursuivre la “bonne coopération” avec la France à la suite de la réélection d’Emmanuel Macron. Les relations franco-allemandes ne reposent bien sûr pas sur une seule personne, mais les chefs d’Etat et de gouvernement ont un rôle clé à jouer en matière d’impulsion politique. La coopération, elle, se joue à tous les niveaux.
Marie-Sixte Imbert au micro de Laurence Aubron