En 2023, les émissions de gaz à effet de serre de l’Allemagne ont chuté de manière historique. Une bonne nouvelle alors que le pays entend atteindre la neutralité climatique d’ici 2045 - et l’Union européenne d’ici 2050.
Oui, une bonne nouvelle alors que la situation politique reste très complexe, avec une coalition divisée dont les composantes essuient défaite électorale sur défaite électorale, et qui a dû notamment annuler le 1er janvier 2024 la prime à l’achat de voitures électriques après les tensions budgétaires de fin 2023. Selon le centre de recherche Agora, les émissions allemandes de gaz à effet de serre sont tombées à leur plus bas niveau depuis les années 1950 : elles ont diminué de 46 % par rapport à 1990. Et le pays a même dépassé de 49 millions de tonnes ses objectifs de réduction pour 2023.
L’Allemagne est en récession : cela suffit-il à expliquer cette baisse des émissions ?
Non, d’autant que la baisse des émissions s’est révélée plus importante que prévu. Il faut ajouter deux autres éléments. D’une part, la production d’électricité à partir de charbon a continué à décroître - elle est à son plus bas niveau depuis les années 1960 - alors que Berlin entend en sortir d’ici 2038 et dans l’idéal d’ici 2030. C’est dû à la réduction de la demande globale d’électricité (- 3,9 %), mais aussi à l’augmentation de la part des renouvelables. D’autre part, les prix élevés ont aussi pesé sur la demande d’énergie, notamment des industries les plus consommatrices. L’économie allemande s’est contractée de 0,3 %, mais pour la chimie et la sidérurgie, la céramique, le verre, le papier, la réduction a été de 11 %. S’il s’agit de gagner en efficacité énergétique, et non pas uniquement de reports de production ou de délocalisation des capacités de production, la réduction des émissions peut être structurelle. La difficile sortie attendue de l’Allemagne de la récession en 2024 pourrait encore peser sur la demande en énergie.
La baisse historique des émissions en 2023 est-elle donc surtout conjoncturelle pour Berlin ?
Pas entièrement. L’augmentation de la part des renouvelables, l’amélioration de l’efficacité énergétique dans les bâtiments ou l’industrie expliquent, selon Agora, 15 % de cette réduction des émissions de gaz à effet de serre.
En matière de renouvelables justement, où en est l’Allemagne ?
Pour la première fois en 2023, Berlin a produit plus de la moitié (56 %) de son électricité à partir de renouvelables, selon l’agence fédérale des réseaux. L’objectif est d’atteindre 80 % d’ici 2030. Le gouvernement entend soutenir et accélérer le déploiement de nouvelles capacités de production, notamment pour le solaire, avec une évolution de la législation et des programmes de soutien. Si vous voyagez en Allemagne, vous verrez beaucoup plus d’éoliennes qu’en France, ou de panneaux solaires sur les toits des bâtiments - même si le dumping chinois a balayé les constructeurs allemands de ces panneaux.
Faut-il attendre de nouvelles mesures en 2024 pour faire mentir la réputation de mauvais élève de l’Allemagne en matière climatique ?
Certainement, car l’Allemagne risque toujours de manquer ses objectifs climatiques pour 2030 et au-delà.
Il y a la question de la stabilité du système alors que le pays se passe
de nucléaire et entend se passer de charbon. La France plaide
justement pour le nucléaire, une énergie pilotable, au contraire des
renouvelables qui sont intermittentes.
Selon l’institut d’économie
énergétique de l’université de Cologne, il manque 60 milliards
d’euros pour soutenir en Allemagne le développement de centrales à
gaz compatibles à l'hydrogène - le plan gouvernemental est toujours
attendu. Et deux secteurs en particulier réclament des efforts considérables :
les transports et le bâtiment.
Le 30 novembre 2023, le tribunal
administratif supérieur de Berlin-Brandebourg a demandé au
gouvernement d’agir de manière urgente à ce sujet.
Or la coalition
est divisée : les libéraux du FDP ont obtenu une concession avec
l’annonce de l’abandon des objectifs sectoriels de la loi sur la
protection du climat au profit d’une approche globale, qui
permettrait des compensations entre secteurs - une concession de
poids pour les Verts.
Comme en France, les mesures font l’objet d’âpres débats, et leur
contestation est un des principaux moteurs de la poussée électorale
de l’extrême-droite de l’AfD.
Selon une enquête mi-décembre 2023 de la Fondation Bertelsmann en coopération avec l’Institut de recherche pour le développement durable du Centre Helmholtz de Potsdam, les Allemands sont en majorité favorables à la protection du climat et à la transition énergétique, mais aussi inquiets pour la cohésion sociale.