Tous les mardis sur euradio, la spécialiste en affaires européennes et relations franco-allemandes Marie-Sixte Imbert analyse et décrypte les derniers événements et enjeux des relations franco-allemandes.
Le 7 mars 2023, le gouvernement allemand a refusé de voter en l’état le projet de règlement qui doit permettre d'interdire d’ici 2035 la vente en Europe de voitures à moteur thermique et de voitures hybrides. Le sujet a fait couler beaucoup d’encre : pourquoi une telle volte-face ?
Parce que cette annonce du ministre des Transports Volker Wissing portait sur la dernière étape, normalement formelle, avant l’adoption du texte. Et le 14 mars, c’est le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, qui a annoncé son refus du projet de réforme du pacte de stabilité et de croissance - c’est le pacte qui prévoit notamment 3 % maximum pour le déficit, et 60 % maximum pour la dette. Dans les deux cas, ce sont des ministres allemands, libéraux, qui sont revenus au dernier moment sur des accords européens.
Nous avons abordé ensemble il y a quelques semaines les difficultés de la coalition fédérale allemande. Se retrouvent-elles ici ?
Oui, le FDP ne paraît pas bénéficier de sa participation à la coalition fédérale pour imposer ses positions - attaché à l’orthodoxie budgétaire, il a par exemple accepté des dépenses bien plus importantes que prévu pour la défense. Plus compliqué, le FDP paraît pâtir électoralement de sa participation à la coalition fédérale : il a perdu toutes les dernières élections régionales, et est mal placé dans les sondages. C’est la question de la survie régionale et fédérale même du FDP qui peut se poser, alors qu’en Allemagne, il faut au minimum 5 % des voix pour obtenir des sièges.
L’orthodoxie budgétaire est donc un sujet clé pour les libéraux allemand·es. L’autre volte-face allemande en mars concernait les voitures : est-ce anecdotique ?
Sans doute non, l’automobile est le premier secteur industriel en Allemagne. En 2021, il a représenté 11,4 % du PIB allemand, 436 Milliards € de chiffre d’affaires, dont 274 Milliards € à l’export. L’Allemagne reste leader mondial - près de 50 % des voitures en Europe sont allemandes. C’est Volkswagen, BMW, Mercedes, Audi, sans compter les équipementiers. En 2020, le secteur employait près de 12 % de la population active allemande, contre un peu plus de 7 % en France. Sans oublier que la voiture joue un rôle symbolique très fort en Allemagne, plus qu’en France. Et le secteur est particulièrement présent dans le Bade-Wurtemberg, la Bavière et la Basse-Saxe - la Bavière votera d’ailleurs en octobre 2023.
Quel impact ces volte-face peuvent-elles avoir sur la position de l’Allemagne en Europe ?
Dans les deux cas, ces textes avaient fait l’objet d’accords, voire de compromis à l’égard de demandes de Berlin. Et c’est sans compter toutes les difficultés sur d’autres textes en amont des votes. Le représentant permanent allemand auprès de l’UE a semble-t-il d’ailleurs signalé à Berlin début janvier 2023 les difficultés de la diplomatie allemande à Bruxelles.
Il est certes normal que les décisions politiques soient le fruit de débats, d’évaluations, de ré-évaluations. Ce qui complique les choses, c’est le caractère brouillé des messages : l’Allemagne se veut européenne, mais revient sur des engagements communs pour des raisons sans doute avant tout intérieures. L’Allemagne veut accélérer la transition environnementale, mais revient sur des décisions. L’Allemagne promeut l’autonomie stratégique européenne, mais ralentit les efforts sur les véhicules électriques, un secteur dans lequel la Chine a pris de l’avance.
Dernier aspect, ces volte-faces interviennent dans un contexte d’agacement des Européens et de ses voisins de l’Est envers l’Allemagne, notamment sur la question des relations avec la Russie.
Dès lors, comment ces décisions allemandes sont-elles justifiées ?
Sur les voitures, le ministre des Finances Christian Lindner a indiqué le 16 mars 2023 auprès de Funke et de Ouest France vouloir se “battre pour des technologies respectueuses du climat, mais éviter tout ce qui pourrait rendre la vie plus chère sans protéger l’environnement”, et a appelé à protéger les emplois.
Sous cet angle, les positions allemandes peuvent inviter à se poser des questions de fond : celles du rythme et des moyens de la transition environnementale face à l’urgence climatique, mais également face à la question de son acceptabilité sociale, ou celle de l’accompagnement de cette transition. Les réponses collectives apportées jusqu’ici sont-elles suffisantes ?
Ces débats prennent-ils la même forme en France ?
Sur le moteur thermique, ils prennent une forme plus éruptive en France dans un contexte politique tendu - dont l’opposition massive à la réforme des retraites est un symptôme. Pour le dire vite, la France de la périphérie qui roule dans des voitures d’occasion râle de plus en plus contre les restrictions de circulation liées aux ZFE, les Zones à faible émission. Un même véhicule à essence produit entre 1993 et 2006 a droit à une “grüne Umweltplakette” (une plaquette verte) en Allemagne et peut circuler dans le centre de Berlin ou de Düsseldorf, alors qu’il écope d’une vignette Crit’air 3, 4 ou même 5 en France. Un véhicule diesel Crit’air 3 en France a aussi droit à une “grüne Umweltplakette” en Allemagne pour peu qu’il ait été modernisé avec un filtre à particules.
La vignette allemande est-elle donc laxiste ?
Inversement, le rythme français est-il tenable économiquement, socialement, politiquement ? Ou encore, comment éviter une nouvelle dépendance envers la Chine en matière de batteries électriques et de matières premières ? Les choix en matière de motorisation du futur posent des questions à la fois politiques, économiques, industrielles, technologiques, sociales, mais aussi géopolitiques.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.