Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
Le premier tour de l'élection présidentielle en France a lieu ce samedi, le 10 avril. Un temps fort du calendrier politique en France. Notre partenaire allemand s’intéresse-t-il à cette campagne ?
Chez notre voisin, l'attention pour la campagne a pris du temps à cristalliser. Comme en France finalement, où elle n’a vraiment démarré que très tard. Et où l’invasion russe en Ukraine en a modifié le contexte, en pleine présidence française du Conseil de l’UE.
Ceci étant dit, pour l’Allemagne, la France reste un partenaire de premier plan. Il lui importe donc de savoir avec quel gouvernement, avec quelles forces politiques discuter, de comprendre les dynamiques. Les médias s’y intéressent, tâchent de décrypter les rapports de force, les stratégies pour le public allemand. Les débats ont été assez nombreux sur le bilan du quinquennat, sur la préparation de la campagne.
Surtout que depuis quelques années, avec l’approfondissement de la relation franco-allemande, le traité d'Aix-la-Chapelle, l'Assemblée parlementaire franco-allemande, on est sans doute entré dans une nouvelle phase des relations. On peut aborder les sujets qui fâchent - et ils sont nombreux. On parle parfois des “désaccords constructifs”. Pour cela, il faut de la confiance entre les deux partenaires.
Quel regard portent les Allemands sur la vie politique française ?
Vue d'Allemagne, notre vie politique peut apparaître bien étrange ! Elle est très personnalisée, marquée au fer rouge par l’élection présidentielle. Au point que l’on dit parfois en France “Angela Merkel ou Olaf Scholz décide”, comme on dit "Emmanuel Macron décide”, ce qui est une erreur. Cette clé de voûte présidentielle n’existe pas en Allemagne, qui est un régime parlementaire. Le président de la République y a un rôle avant tout honorifique. Et le Chancelier ou la Chancelière et le gouvernement, souvent de coalition, émanent directement du Bundestag.
La vie politique française est finalement marquée par une passion, un enthousiasme, et aussi une violence plus grande. Qui surprennent souvent nos voisins allemands. Violence politique, violence verbale, intensité des altercations. La campagne actuelle n’y fait pas exception. On a même entendu des “Macron assassin” scandés récemment lors d’un meeting d’Eric Zemmour.
Une logique d’affrontement qui surprend en Allemagne.
Oui, on dit souvent qu'en France nous avons la culture de l'affrontement, tandis que les Allemands ont la culture du compromis. Un côté peut-être plus méditerranéen. En Allemagne, c'est plus lent, plus calme, moins adapté aux débats télévisés aussi. Le pays ne connaît d’ailleurs pas de chaînes d’information en continu au même degré qu’en France. On dit parfois, de manière schématique, que les Français sont plus attachés aux idées, aux concepts. Mais qu’ils veulent avant tout des résultats, tandis que les Allemands veulent avant tout des processus. Bien sûr, chaque système, chaque culture politique a ses avantages et ses inconvénients.
Comment l’Allemagne, un pays très attaché à la stabilité a examiné la campagne à rebondissements de 2017 ?
Avec une grande surprise. Et beaucoup d’inquiétude, notamment entre le premier et le second tour, lorsque l’hypothèse de l’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République s’est présentée. Des rassemblements avec le drapeau européen ont même eu lieu pendant cet entre-deux tours. L’élection d’Emmanuel Macron a ainsi suscité un grand enthousiasme - et pas qu’en Allemagne d’ailleurs.
Et l’inquiétude ressurgit en Allemagne en 2022, alors qu’à quelques jours du premier tour, trois candidats d’extrême droite ou gauche sont donnés dans les sondages à plus de 40 %. Et que l’hypothèse Marine Le Pen prend de l’ampleur.
Quel bilan est fait du quinquennat actuel ?
Ce qui me frappe, c’est combien le président sortant reste considéré comme un visionnaire par de nombreuses forces politiques. Un président jeune, dynamique, parfois vu comme arrogant mais qui a proposé et mis en œuvre beaucoup d’idées, avec un gouvernement au centre. Son engagement européen fort et assumé était vu comme une bonne nouvelle, après le Brexit et l’élection de Donald Trump. Le tandem Emmanuel Macron - Angela Merkel a d’ailleurs marqué une phase très fructueuse des relations franco-allemandes.
La France a aussi amélioré son image internationale, en matière d’économie la confiance s’est améliorée. Cela a aussi facilité sans doute les discussions sur la relance européenne par exemple. Même si Emmanuel Macron avait dans un premier temps froissé en Allemagne, avec le discours de la Sorbonne en septembre 2017. Car c’était aux lendemains mêmes des élections législatives allemandes et alors qu'un gouvernement de coalition devait être formé.
Pour revenir à votre première question, l’Allemagne porte bien sûr un grand intérêt à l’élection présidentielle en France, un partenaire majeur, et se prépare pour le prochain quinquennat.
Marie-Sixte Imbert au micro de Laurence Aubron