Tous les mardis sur euradio, la spécialiste en affaires européennes et relations franco-allemandes Marie-Sixte Imbert analyse et décrypte les derniers événements et enjeux des relations franco-allemandes.
Nous
nous sommes penchés en mars 2023 sur la réforme des retraites en
France, et les contestations sociales en France et en Allemagne sur
fond d’inflation et d’interrogations économiques. Le sujet des
retraites étant bien sûr lié à celui du travail, quelle est la
situation chez nos voisins ?
Depuis longtemps, la situation du marché du travail est plus favorable en Allemagne qu’en France - mais elle s’améliore aussi chez nous depuis quelques années. L’Allemagne connaît toujours le quasi-plein-emploi avec 5,5 % de demandeurs d’emploi en février 2023. On n’y est pas (encore) en France, mais on commence aussi à y connaître un manque de main-d’œuvre dans certains secteurs.
Bien sûr, ces chiffres ne résument pas l’ensemble des inégalités, des niveaux de vie (avec le fameux symbole du système “Hartz IV” qui a été réformé fin 2022), mais aussi des questions de différences entre secteurs ou régions, d’adéquation des formations aux besoins… Les débats en ce printemps 2023 sur les retraites en France illustrent combien ces questions sont multi-factorielles.
Pénurie de main-d’œuvre en Allemagne, qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Dès 2021, le président de l’Agence fédérale pour l’Emploi estimait à 400 000 migrant·es supplémentaires par an les besoins du marché du travail allemand. Or, cette pénurie s’aggrave, notamment pour la main-d’œuvre qualifiée : selon la Fédération allemande des chambres de commerce et d’industrie (DIHK), plus de la moitié des entreprises peinaient à recruter fin 2022 début 2023, un chiffre en augmentation. C’est notamment le cas dans le médico-social, l’éducation, l’artisanat, dont la rénovation énergétique, l’informatique, ou les sciences, selon l’Institut de l’économie allemande. En 2022, 845 000 emplois en moyenne étaient à pourvoir selon l’Agence fédérale pour l’emploi. Cela pèse sur l’activité, mais également sur la capacité de modernisation du pays.
Pourquoi de telles difficultés chez notre voisin ?
De manière assez comparable à la France, il y a les bouleversements liés à la crise de la Covid-19, la question des salaires, du niveau de vie et des conditions de travail, ou encore celle de la formation initiale et continue. Avec une différence majeure en Allemagne : la fécondité est plus faible, avec moins de 1,5 enfant par femme en 2022, et la population vieillit plus vite.
Quelle est la réponse du gouvernement allemand ?
Il y a différents volets : le ministre social-démocrate du Travail Hubertus Heil a présenté le 29 mars 2023 un projet de loi pour simplifier les règles d’accès au marché du travail pour les candidat·es non-Européen·nes à l’immigration qui font preuve de qualifications reconnues, d’une expertise ou d’un potentiel. Un autre projet de loi doit favoriser la formation continue, en plus des incitations renforcées dans le cadre de la création début 2023 de l’allocation citoyenne, le “Bürgergeld”. Début décembre 2022, le Bundestag a également approuvé une simplification du droit de séjour pour les étrangers bien intégrés qui n’en disposaient pas. Enfin, on attend un projet de loi pour faciliter l’accès à la nationalité allemande.
Sur cette question de la nationalité, de quoi s’agit-il ?
C’est un des engagements du contrat de coalition fédérale de 2021 : faciliter l’acquisition de la nationalité allemande au bout de “cinq ans en règle générale” au lieu de huit - voire au bout de trois ans pour les personnes étrangères les mieux intégrées.
Est-ce un changement majeur en Allemagne ?
Cela confirme une tendance de long terme : la réforme fondamentale du code de la nationalité est entrée en vigueur en 2000 avec l’introduction du droit du sol - auparavant, seul le droit du sang s’appliquait.
L’Allemagne a longtemps été une terre d’émigration, aux 19e et premier 20e siècle, et n’est devenue une terre d’immigration que depuis les années 1950 - alors que la France l’est au moins depuis la fin du 19e siècle. Aux Allemands de l’Est qui votaient avec leurs pieds avant la construction du mur de Berlin, se sont ajoutés les Italiens, puis les Turcs et les Yougoslaves pendant le “Wirtschaftwunder”, le “miracle allemand”. Avec la fin de l’URSS, sont arrivés notamment les “Aussiedler”, ces descendants d’Allemands installés dans l’Empire russe sous Catherine II, puis des citoyens de l’Est et du Sud européens. Se sont ajoutés 1 million de réfugié·es en 2015, 1 million de réfugié·es ukrainiens en 2022. En 2021, 13 % de la population allemande possédait un passeport étranger.
Ce sont des histoires différentes, mais des mouvements politiques se font écho alors que la France prépare également en ce printemps 2023 une réforme de la politique d’immigration : les critiques se font-elles aussi écho ?
Sans doute, avec une crispation sur les questions d’identité (il y a même eu un ministère dédié en France), de laïcité pour le dire vite même si les débats sont un peu différents à Paris et à Berlin, et une politisation des questions d’immigration. 40 % des Allemand·es de l’Est et 23 % de l'Ouest estimaient qu’il y avait trop d’étranger·ères en Allemagne en novembre 2022, selon une étude de l’Université de Leipzig. Le mouvement Pegida a ainsi prospéré au moment de la crise des réfugiés en 2015 : au “Wir schaffen das” d’Angela Merkel, “Nous y arriverons”, il répondait “Merkel muss weg”, “Merkel doit dégager”. Même si le poids de l’extrême-droite est moindre en Allemagne qu’en France, les divisions sur ces questions traversent les formations politiques tout comme les coalitions au pouvoir à Berlin. Les chrétiens-démocrates de la CDU et de sa jumelle bavaroise de la CSU se sont divisés au cours des années 2010 sur ce dossier, tandis qu’actuellement, les libéraux du FDP mettent plus que leurs partenaires l’accent sur l’engagement à renforcer les reconduites à la frontière pour les migrants en situation irrégulière.
Il reste qu’en janvier 2023, le chancelier Olaf Scholz martelait : “ceux qui veulent se retrousser les manches sont les bienvenus en Allemagne”.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.