Tous les mardis sur euradio, la spécialiste en affaires européennes et relations franco-allemandes Marie-Sixte Imbert analyse et décrypte les derniers événements et enjeux des relations franco-allemandes.
Le
12 février 2023, un scrutin attendu mais étonnant a eu lieu en
Allemagne, à Berlin. Car une première élection municipale a bien
eu lieu en septembre 2021, mais avait dû être annulée. Pourquoi en
est-on arrivé à ce scénario catastrophe ?
Parce que le précédent vote avait été entaché de trop nombreux dysfonctionnements - et le gouvernement sortant de coalition, mené par les sociaux-démocrates du SPD, avait été très critiqué pour cela. Les électeur·rices avaient parfois dû attendre des heures pour pouvoir voter, des bureaux de vote n’avaient pas les bons bulletins quand il n’en manquait pas, ou même des urnes…
Quatre scrutins avaient alors mobilisé les 2,4 millions d’électeur·rices de Berlin, dans un contexte encore marqué par la Covid-19. Il y avait l'élection des député·es fédéraux, celle des député·es du Land de Berlin, et celle des conseils d’arrondissement - sans oublier un référendum sur l’expropriation de grands groupes immobiliers. Mais le scrutin a été partiellement annulé en novembre 2022 par la cour constitutionnelle de Berlin, avec à la clé de nouvelles élections municipales et d’arrondissement. Alors, bonne nouvelle, les contrôles ont bien fonctionné, mais c’est politiquement désastreux.
Pour comprendre la situation, quel avait été le résultat des premières élections municipales, en septembre 2021 ?
Le SPD avait remporté 21,4 % des voix, et avait formé une coalition avec les Verts (presque 19 % des voix) et die Linke, la gauche radicale (14 %). Au SPD, la tête de liste Franziska Giffey, ancienne ministre fédérale de la Famille, des Personnes âgées, des Femmes et de la Jeunesse, aurait préféré une coalition avec les libéraux du FDP (7 % des voix), mais c’est bien une coalition de gauche qui avait été formée. Les négociations avaient duré près de 2 mois : en décembre, Franziska Giffey était devenue la première femme bourgmestre-gouverneure de Berlin - eh oui, Berlin est à la fois une ville, et un Land.
Ceci donc pour septembre 2021 donc : en février 2023, que s’est-il passé ?
Le scrutin a donc eu lieu à nouveau, dans les mêmes configurations politiques, avec par exemple les mêmes listes - sauf déménagement ou décès. Ce qui a pu mener à des situations cocasses alors que la situation politique a entre-temps évolué : certains candidat·es ont dû se représenter sous la même étiquette politique, après avoir entre-temps changé de parti. Et nouveauté pour 2023 : les jeunes de 16 à 18 ans ont pu voter pour les conseils d’arrondissement.
J’en viens au résultat municipal : si le SPD était en tête en 2021, en 2023, il a enregistré son plus mauvais résultat à Berlin depuis des décennies, à 18,4 % des voix. Et il a même frôlé une véritable humiliation : il se maintient d’extrême justesse deuxième, devant les Verts. Le troisième partenaire de la coalition sortante, Die Linke, a recueilli un peu plus de 12 % des voix. C’est bien la droite, la CDU démocrate-chrétienne, qui a remporté le scrutin avec 28,2 % des suffrages - et 10 points de plus qu’en 2021. Une première depuis plus de 20 ans.
Le prochain maire de Berlin sera donc CDU ?
Ah, rendez-vous dans quelques semaines ! Car même si la CDU a remporté le scrutin, le SPD pourrait parvenir à reconduire une coalition de gauche. Cela paraît impensable vu de France, mais avec le mode de scrutin allemand, gagner et gouverner sont deux choses parfois différentes. Et les négociations de coalition s’annoncent particulièrement difficiles à Berlin.
Pourquoi la coalition de gauche a-t-elle connu un tel recul dans les urnes en 1 an et demi ?
À scrutin local, raisons locales : l’annulation partielle du précédent a certainement entaché la confiance envers le SPD qui dirigeait la précédente coalition. Ajoutez à cela les problèmes structurels à Berlin en matière de logement, avec la forte hausse des loyers (même si beaucoup de Parisiens rêveraient d’un loyer berlinois), ou la pénurie croissante d’enseignants. À plus court terme, la question des violences s’est invitée dans le débat public à l’aune de celles de la nuit du Nouvel An dans la capitale fédérale.
Berlin a la réputation de ne pas fonctionner, réputation héritée de la Guerre froide et toujours vivace. Il ne faut pas oublier que Berlin reste une ville plutôt pauvre. Elle n’est redevenue capitale uniquement en 1990, dans un pays loin de la centralisation française - de nombreux services ministériels sont par exemple toujours à Bonn par exemple. L’IW Köln, un institut de recherche économique, a calculé que Berlin contribue à 0,2 % du PIB allemand : c’est mieux qu’auparavant, mais l’ordre de grandeur avec Paris, 15 % du PIB français, est complètement différent. Un scrutin à Berlin n’a pas le même impact en Allemagne qu’un scrutin à Paris.
Ce scrutin peut-il néanmoins avoir des conséquences nationales ?
Il n’a pas de conséquence directe, mais il peut fragiliser la position nationale du SPD au sein de la coalition, et partant du chancelier Olaf Scholz. Car il peut avoir un impact sur la composition du Bundesrat, la chambre haute du Parlement fédéral, qui représente les seize Länder.
Mais surtout d’un point de vue politique : ce scrutin est vu comme la confirmation des tendances de ces derniers mois. Il y a la difficulté croissante du SPD au sein d’une coalition fédérale très complexe à gérer, sur fond de guerre en Ukraine et de tensions géopolitiques, de difficultés économiques qui obligent à retravailler le logiciel historique du SPD. D’autre part, la CDU semble bien mener sa cure d’opposition, avec plutôt de bons résultats locaux et sondages. L’extrême-droite de l’AfD, quant à elle, s’il elle a reculé ces dernières années, paraît se maintenir : il n’a pas fait de percée à Berlin, mais le parti est relativement peu implanté dans les grandes villes.
Conclusion : “qui peut sauver Berlin ?”. C’était le titre d’un débat électoral. Tout un programme.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.