Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
C’est donc officiel avec l’annonce le 24 novembre dernier d’un contrat de coalition : l’Allemagne va désormais avoir un nouveau gouvernement. Plusieurs semaines après les élections fédérales de fin septembre dernier, pourquoi a-t-il fallu tant de temps ?
C’est une spécificité de nos voisins, bien visible tous les 4 ans : former un gouvernement en Allemagne demande du temps ! Et pourtant, les négociations ont été plutôt courtes : en 2017, elles avaient duré six mois ! Il faut dire qu’avec un régime parlementaire et l’absence depuis longtemps d’un gouvernement disposant de la majorité absolue au Bundestag, les coalitions sont indispensables.
Avec une nouveauté d’ailleurs : pour la première fois au niveau fédéral, la coalition gouvernementale ne comportera pas deux, mais bien pleinement trois partis. Les sociaux-démocrates du SPD, menés par Olaf Scholz. Les Verts, ou Grünen. Et les libéraux du FDP. Trois partis qui ont donc dû se mettre d’accord pour construire un véritable contrat de coalition. Un long document, 177 pages en tout, détaillé et précis, et contraignant. Il écrit ce que seront l’ambition du gouvernement et les politiques publiques allemandes pour les quatre prochaines années. Un équilibre entre des priorités parfois divergentes voire contradictoires entre les partis.
C’est donc bien un document majeur pour les prochaines années : vers quelle voie se dirige l’Allemagne ?
“Oser davantage de progrès. Alliance pour la liberté, la justice et le développement durable”. Le titre même du contrat de coalition fait référence au programme “Oser plus de démocratie” de Willy Brandt en 1969. Avec comme ambition, selon Olaf Scholz, de lancer rien de moins que “la plus importante modernisation de l’industrie allemande depuis plus d’un siècle” ! C’est un programme au centre, social-libéral, axé sur l’urgence de la transition environnementale, mais également sociale et numérique.
Modernisation, donc, mais également continuité pour une large part avec les politiques publiques menées ces dernières années. Le mouvement stable, d’une certaine manière. Ou le “changement dans la continuité” selon les mots du correspondant du Monde à Berlin, Thomas Wieder. Par exemple, en matière de finances publiques, le mécanisme constitutionnel de frein à la dette sera rétabli dès 2023. Il est suspendu depuis 2020 sur fond de crise de la Covid-19. S’il y a une mesure particulièrement nouvelle, c’est sans doute la légalisation du cannabis.
Nous en parlions il y a quelques semaines, les enjeux climatiques sont donc au cœur de la politique allemande ?
Oui, c’est une ambition majeure ! Le contrat de coalition reprend d’ailleurs une mesure phare, notamment portée par les Verts, celle de la sortie anticipée du charbon. “Idéalement” dès 2030, au lieu de 2038. Les énergies renouvelables devront produire 80 % de l’électricité en 2030, les transports en commun urbains et la mobilité électrique seront développés, l’impact climatique sera pris en compte dans tous les projets de loi… L’environnement occupe une place centrale - comme pendant la dernière campagne. D’ailleurs économie et climat seront liés au sein d’un super-ministère dirigé par Robert Habeck, le co-président des Verts.
Que peut-on attendre de ce futur gouvernement de coalition pour les relations franco-allemandes et la construction européenne ?
L’entrée en fonction du nouveau gouvernement fédéral lève une hypothèque pour la France. Cette dernière va en effet prendre la présidence du Conseil de l’Union au 1er janvier, pour 6 mois, en pleine campagne présidentielle et législative. Disposer d’interlocuteurs à Berlin peut alors faciliter les avancées.
Sur le fond, on peut tout à fait s’attendre à une certaine convergence sur les questions européennes. En matière de politique étrangère notamment, l’accord de coalition souligne notamment la nécessité "d'augmenter la souveraineté stratégique de l'Europe", priorité française dans le débat public européen.
Mais la présence du FDP à un poste clé, celui des Finances, avec Christian Lindner, le président du parti, partisan de l’orthodoxie budgétaire, n’augure pas de bouleversements économiques et budgétaires. Le contrat de coalition ne parle d’ailleurs que de “simplification” des règles budgétaires du pacte de stabilité européen, et non d’une réforme. Christian Lindner s’est néanmoins montré ouvert à des discussions sur la dette européenne commune.
Le contrat de coalition évoque également la possibilité de modifier les traités européens "sur le fondement des résultats de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, dans le but de poursuivre le développement d'un Etat fédéral européen”.
Quelles sont donc les prochaines étapes pour que ce nouveau gouvernement entre en fonction, et s’attelle à la tâche ?
Le contrat de coalition doit encore être validé par les trois partis d’ici ce week-end. Le cas échéant, Olaf Scholf devrait être élu Chancelier la semaine prochaine, et le nouveau gouvernement entrer en fonction dans la foulée. Rouge, vert, jaune, les couleurs des trois partis : l’Allemagne va donc passer au “feu tricolore”, surnom de la coalition, pour quatre ans.
Marie-Sixte Imbert au micro de Cécile Dauguet