Les relations franco-allemandes - Marie-Sixte Imbert

Le président fédéral, autorité morale de premier plan en Allemagne - La chronique de Marie-Sixte Imbert

Le président fédéral, autorité morale de premier plan en Allemagne - La chronique de Marie-Sixte Imbert

Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, Senior Fellow de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.

Ce dimanche, le 13 février, l’Allemagne a vu son président fédéral, Frank-Walter Steinmeier, réélu pour un second mandat de 5 ans. Alors que l’on connaît mieux la figure du chancelier ou de la chancelière fédérale, quel est le rôle du président fédéral ?

Oui, Frank-Walter Steinmeier a été réélu à son poste : une élection de chef d’Etat bien différente de celle de la campagne électorale actuelle en France !

Ses fonctions tout d’abord : les pouvoirs du président fédéral sont limités, par rapport par exemple à ceux du président sous la 5e République. Mais aussi par rapport à ceux du président fédéral sous la République de Weimar, de 1918 à 1933 en Allemagne. Son rôle est essentiellement un rôle de représentation, à la fois par ses discours, et par ses visites et déplacements officiels. Il signe également les traités interétatiques et accrédite les diplomates étrangers. Il ratifie et proclame les lois. Il nomme et révoque les ministres proposés par le chancelier fédéral, et nomme les juges, fonctionnaires, officiers et sous-officiers fédéraux, sur proposition du gouvernement ou d’autres organes. 

Le président fédéral n’exerce donc pas de pouvoir autonome. Avec une exception aux limites strictes de ses fonctions : en cas de crise parlementaire. Une situation qui s’est produite jusqu’ici trois fois, en 1972, 1982 et 2005. Un exemple, donc, de la volonté inscrite dans la Loi fondamentale allemande, l’équivalent de notre Constitution, d’assurer la stabilité de la démocratie et des institutions allemandes.

Autre différence par rapport à la République de Weimar : le président n’est pas élu au suffrage universel direct, mais au suffrage universel indirect. C’est l’Assemblée fédérale, dont c’est d’ailleurs la seule réunion, qui s’en charge. Cette assemblée réunit les députés du Bundestag, et un nombre égal de membres, personnalités publiques, choisis par le Bundesrat, la représentation des 16 Länder ou régions. 1 472 électeurs étaient donc attendus dimanche dernier.

Le président fédéral joue en Allemagne un rôle très limité, bien loin du rôle du président de la République en France. Pourquoi donc s’intéresser à cette élection ?

Au-delà des pouvoirs formels, limités, du président fédéral, ce dernier exerce une influence qui n’est pas négligeable en Allemagne. Si les candidats sont proposés par les partis, le président une fois élu est indépendant des partis. Il se doit d’incarner une autorité morale, et l’unité de la République fédérale. Il peut ainsi fixer des normes morales, rappeler des responsabilités, et constituer un repère pour la vie publique allemande. Un rôle dans lequel Frank-Walter Steinmeier est plutôt apprécié.

Nous parlions il y a quelques semaines de sa prise de position publique face à la radicalisation du mouvement des “Querdenker”, ces opposants à la vaccination contre la Covid-19. Le président avait alors dénoncé une “banalisation” de l’antisémitisme, et appelé la société civile à se mobiliser. 

Sa réélection souligne finalement la volonté de stabilité et de continuité en Allemagne. Alors que la chancellerie a changé de mains après 16 ans de pouvoir d’Angela Merkel, et qu’une nouvelle coalition exerce le pouvoir au niveau fédéral depuis décembre.

Qui est donc ce président réélu pour un second, et dernier mandat de 5 ans ?

Ce sera effectivement le dernier de Frank-Walter Steinmeier, la réélection n’étant possible qu’une seule fois. Quatre candidats étaient proposés, par les sociaux-démocrates donc, par la gauche radicale Die Linke, par le parti Freie Wähler, et par l’extrême droite populiste AfD. Le résultat était attendu : le président sortant avait en effet le soutien des trois partis de la coalition, le SPD, les Verts et les libéraux du FDP, ainsi que des chrétiens-démocrates, le premier parti d’opposition. 

Pour retracer en quelques mots sa biographie : né en 1956, en Westphalie, Frank-Walter Steinmeier est docteur en droit. Il a construit sa carrière dans le sillage de l’ancien chancelier Gerhard Schröder. Il a notamment été ministre des Affaires étrangères de la Grande Coalition avec la CDU-CSU d’Angela Merkel, de 2005 à 2009 et de  2013 à 2017. Il a également été candidat, malheureux, à la chancellerie en 2009, et chef de l’opposition au Bundestag de 2009 à 2013.

Depuis 2017, le ministère des Affaires étrangères allemand le rappelait, il a axé son action en tant que président fédéral autour de la défense de la démocratie, du dépassement des divisions au sein de la société, de la lutte contre l’antisémitisme, de la solidarité durant la pandémie et de la responsabilité de l’Allemagne sur la scène internationale. Une volonté d’incarner un repère pour la société allemande.

Après sa réélection ce dimanche, Frank-Walter Steinmeier a averti : “Ne sous-estimez pas le pouvoir de la démocratie”, face à la menace russe d’un conflit en Ukraine. Alors que les inquiétudes se font jour à travers le monde sur l’état de nos démocraties, un tel rappel ne peut sans doute qu’être salutaire.

Marie-Sixte Imbert au micro de Laurence Aubron