Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.
La semaine passée, Sophie Lemaître, vous nous avez parlé du pillage des forêts albanaises. Quelle est la situation chez nous ?
Bonne question. Commençons d’abord par un petit tour d’horizon des forêts françaises. 75% des forêts appartiennent à environ 3,5 millions de propriétaires privés. 25% sont gérées par les collectivités ou l’Etat via l’Office national des forêts (l’ONF). La France possède la 4ème plus grande superficie forestière d'Europe. 32% du territoire hexagonal est couvert de forêts. On y retrouve des chênes, des hêtres, des châtaigniers, des pins, des épicéas et des sapins. Mais comme partout, les forêts françaises sont sous pression du fait des canicules et de la sécheresse, des incendies mais aussi de l’exploitation illégale dans les forêts privées et publiques. Au mois d’avril, par exemple, l’association Canopée a révélé que des coupes rases d’arbres ont eu lieu à Mérigny dans l’Indre sans autorisation. Ce bois a été transporté dans une chaufferie pour alimenter le réseau de chaleur urbain. Les forêts françaises possèdent aussi des essences qui sont prisées. Le prix du chêne a par exemple doublé en 10 ans. Alors forcément cela alimente les trafics.
A quoi ressemble ce trafic ?
Les trafiquants repèrent les forêts isolées ou peu visitées par leurs propriétaires et en profitent pour couper le bois. Par exemple, en Ariège, en 2021, un bûcheron espagnol a coupé illégalement et transporté par camion entre 300 et 400 chênes et sapins vieux de 30 ans. Il a été condamné à 18 mois de prison dont 9 fermes. En Moselle, Fransylva, la Fédération des syndicats de forestiers privés de France, a recensé une quarantaine de propriétaires touchés par ces vols de bois. Autre tactique utilisée par les trafiquants : ils tentent de convaincre les propriétaires privés de les laisser couper du bois et en profitent pour raser et prélever toutes les essences qui les intéressent. Le phénomène est tel que Fransylva a mis en place le mois dernier un numéro d’urgence pour les propriétaires privés.
Il n’y a pas que les forêts privées qui sont touchées par ces coupes illégales.
Effectivement Laurence. En 2022, la forêt de Septeuil dans les Yvelines a été vidée de 237 chênes. L’exploitant forestier disposait d’autorisations mais il est allé au-delà de ce qu’il pouvait couper. Des associations ont mené l’enquête et ont retrouvé la trace de ces chênes, devinez où ? En Chine ! Ils ont transité par le port d’Anvers en Belgique. Les chênes sont très recherchés en Chine. Le chêne peut être revendu 3 fois son prix. Donc les chênes français sont convoités. Pour s’assurer de leur approvisionnement, les négociants chinois font preuve d’une certaine créativité. C’est ce qu’a révélé l’enquête du média Disclose en 2023.
Quelles sont les principales révélations de cette enquête ?
Pour lutter contre le trafic de chênes issus des forêts gérées par l’ONF, celui-ci a mis en place en 2015 un label qu’il a baptisé « Transformation UE ». Les chênes des forêts publiques ne peuvent pas être exportés hors de l’Union européenne sauf si le bois a été préalablement transformé en France ou dans un pays de l’UE. Les exploitants forestiers qui appliquent ce label ont accès aux ventes de l’ONF. Les négociants chinois contournent cette obligation en passant par des revendeurs français peu scrupuleux ou des sociétés écrans domiciliées en France. Cela permet de maquiller la véritable destination du bois. On parle d’ailleurs de blanchiment de bois. Certains arrivent à rafler la mise au détriment d’exploitants français. Il y a certes des contrôles mais rares sont ceux qui se font prendre. Et quand c’est le cas, les sanctions sont faibles. Disclose a aussi constaté que l’ONF revend des chênes sans les avoir placé sous le label « Transformation UE ». Et ce bois va directement en Chine. On a donc encore du chemin à faire pour protéger nos forêts.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.
Sources :
- Global Forest Watch, France
- Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, La forêt française en chiffres, 2025
- UFC Que Choisir, De plus en plus de vols d’arbres coupés sur pied, 2025
- Disclose, Infiltration au cœur du trafic illégal de bois entre la France et la Chine, 2023
- Disclose, Trafic de bois : l’Etat ferme les yeux sur le pillage des forêts publiques françaises, 2023
- France Inter, Le trafic de bois, fléau économique et écologique, 2025
- Reporterre, Trafic de bois vers la Chine : des forestiers condamnés, 2024
- 78Actu, Chênes coupés dans les Yvelines pour le marché chinois : le bûcheron face à la justice, 2024