Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.
Lundi, c’était la journée internationale de lutte contre la corruption. Quel est le but de cette journée ?
L’objectif de cette journée est de sensibiliser les citoyens au problème de la corruption. Depuis 2003, le 9 décembre est dédié à la journée internationale de lutte contre la corruption. Cela remonte à l’adoption de la Convention des Nations unies contre la corruption en 2003. Cette convention, c’est un pas de géant pour s’attaquer au problème de la corruption.
Quels sont les progrès accomplis ces dernières années ?
Alors, pour répondre à votre question, il faut déjà avoir en tête d’où on part : en France, les entreprises pouvaient déduire de leurs impôts les pots-de-vin versés à l’étranger. Ce n’est plus le cas depuis 1999. Déjà on partait de loin. En 20 ans, les progrès sont importants. Pour la France, par exemple, le Parquet national financier et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ont été créés en 2013 et l’Agence française anticorruption en 2016. On a aussi 3 associations qui, depuis 20 ans, dédient leur combat à la corruption : Anticor, Sherpa et Transparency International France. Mais on pourrait en faire beaucoup plus que ce soit en termes de moyens alloués à la lutte contre la corruption, de poursuites et de sanctions ou encore de protection des lanceurs d’alerte.
Y a-t-il des secteurs qui sont particulièrement vulnérables à la corruption ?
Difficile de répondre à cette question car cela dépend des pays. Par exemple, au niveau européen, la Commission européenne a identifié 6 secteurs à risque comme la santé, la finance ou les marchés publics. Mais si on regarde uniquement la corruption internationale, c’est le secteur extractif, c’est-à-dire le secteur pétrolier, gazier et minier, qui est le plus vulnérable à la corruption. Entre 1977 et 2023, 43% des enquêtes, poursuites et sanctions pour corruption internationale ont eu lieu dans ce secteur.
Pourquoi le secteur extractif est-il le plus touché par la corruption ?
C’est un secteur qui génère beaucoup d’argent. Les profits liés à l’exploitation pétrolière ou minière, c’est plusieurs milliards d’euros que ce soit pour les entreprises ou les pays au sein desquels ces ressources sont localisées. On a aussi besoin du pétrole, du gaz et des minerais pour notre vie quotidienne alors qu’on ne les retrouve que dans quelques pays. Sécuriser l’accès au pétrole, au gaz et aux minerais est donc essentiel. C’est aussi un secteur qui reste malgré tout opaque où le contrôle par les parlements, par la société civile est difficile. Tout ça fait que c’est un terrain propice à la corruption.
Pouvez-vous nous donner un exemple de corruption dans le secteur extractif ?
Difficile de choisir ! Car malheureusement les exemples ne manquent pas ces dernières années ! Glencore, Trafigura, SBM Offshore, Shell, ENI, BP, Vitol, Gunvor sont quelques-unes des entreprises qui ont été suspectées d’être impliquées dans des affaires de corruption, ou qui font l’objet d’une enquête ou d’un procès, ou encore qui ont signé un accord avec la justice américaine ou britannique. Je peux peut-être donner l’exemple du géant du négoce des matières premières, Glencore, basé en Suisse qui a plaidé coupable aux Etats-Unis et au Royaume-Uni en 2022. L’entreprise a accepté de payer environ 1,3 milliards de dollars d’amende pour avoir versé des pots-de-vin entre 2007 et 2018 à des fonctionnaires du Nigéria, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée équatoriale, du Brésil, du Venezuela, du Soudan du Sud et de la République démocratique du Congo.
Comment se passait cette corruption ?
Pour expliquer comment la corruption se déroulait, il me faudrait une émission entière sur le sujet alors en quelques mots voici comment l’entreprise s’y est prise : elle a conclu des contrats fictifs, elle a utilisé des intermédiaires, elle a gonflé des factures, elle a dissimulé la corruption dans ses rapports financiers en les qualifiant de « bonus de signature » ou « frais de service », ou encore payé en cash. Voilà Laurence pour ce bref aperçu de la corruption dans le secteur extractif.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.
Sources :
Lemaître, Corruption, évasion fiscale, blanchiment dans le secteur extractif – de l’art de jouer avec le droit (2019)
Commission européenne, High-risk areas of corruption in the EU - A mapping and in-depth analysis (2024)
US Department of Justice, Glencore Entered Guilty Pleas to Foreign Bribery and Market Manipulation Schemes (2022).
Serious Fraud Office, Glencore to pay £280 million for ‘highly corrosive’ and ‘endemic’ corruption (2022)