euradio vous donne rendez-vous une fois par mois pour Génération Z. Avec euranet plus, le réseau de radios européennes, nous tirons le portrait de jeunesse européenne qui s'engage et fait bouger les lignes.
Une étude de Santé publique France publiée en février dernier révèlait que les cas de dépressions chez les jeunes de 18 à 24 ans ont presque doublé depuis la pandémie de coronavirus. Comment cette jeunesse se positionne-t-elle face à l’emploi ? Comment se passe l’entrée sur le marché du travail ? Et même avant cela, est-ce que la valeur et le sens donné aux diplômes est en train de changer ? Pour le savoir nous sommes allés à la rencontre des jeunes dans plusieurs villes en Europe.
Trouver sa place et une activité utile
Marion Dieudonné, jeune diplômée française est partie s'installer à Bruxelles à la recherche d'un travail dans lequel elle pourrait s'épanouir :
“J’ai vraiment cette impression de ne pas trouver ma place sur le marché du travail, et d’être à la fois précaire mais avec un niveau de qualification qui ne devrait pas me donner ce statut de précarité, cet accès à la précarité. Je me sens entre-deux. J’ai enchaîné pas mal de petits boulots, d’interims, de CDD, pas mal de périodes d’essai. Et là je viens de trouver un volontariat international en entreprise, au bout d’un an quasiment de recherche.”
Théo Boucart, ingénieur d’études et plus particulièrement chargé de mobilité étudiante auprès de l’Université de Strasbourg :
“Alors ça peut paraître un peu pompeux de dire qu’il faut faire un boulot qui a du sens, mais je peux vous dire que pour avoir travaillé dans des structures où je me sentais inutile, c’est quand même particulièrement compliqué voire dénigrant ou dégradant de se sentir inutile dans une boîte. Le sens du métier, le sens de l’activité professionnelle c’est vraiment nécessaire.”
Marion Dieudonné : “Ce n’est pas que je ne trouve pas de travail en adéquation avec mes compétences, c’est juste que pour l’instant on ne m’a pas donné ma chance encore de pouvoir trouver ma place dans une structure quelconque. Ma place serait d’être à un poste de chargé de mission, ou à un poste dans lequel toutes mes compétences que j’ai pu acquérir pendant mes stages, mes CDD, pendant le temps de mes études et de mon année de césure, pourraient être reconnues et êtres utilisées. Pour l’instant ce n’est généralement pas le cas, et quand c’est le cas, je ne suis pas rémunérée en tant que telle.”
La valeur du diplôme questionnée par les jeunes
M. D. : “Techniquement je suis diplômée, j’ai mon Master, j’ai mes notes. Je suis diplômée de Sciences Po Strasbourg, mais j’ai refusé, j’ai boycotté la remise des diplômes car je n’y suis pas allée. Oui, on est des jeunes issus de milieux favorisés, de classes sociales plutôt favorisées, mais moi dans mon cas ce qui me fatigue vraiment, c’est d’avoir travaillé toutes ces années, de m’être vraiment investie ; de m’être passionnée dans mes études, pour mon école, et dans mes engagements associatifs, et que ce ne soit pas reconnu par le marché du travail, et qu’en plus de cela, pour moi la cérémonie des diplômes est venue comme un cheveu sur la soupe, pour nous féliciter d’entrer dans quelque chose qui était totalement abstrait pour moi, parce qu’au moment où cette cérémonie a eu lieu, moi j’étais encore secrétaire, et la plupart de mes camarades de promo n’avaient pas trouvé d’emploi. Personne n’osait rien dire, et ils étaient tous là à manger des petits fours. Je trouvais cela terrible, vraiment terrible, comme si parce qu’on était diplomés d’une grande école, on devait fermer notre bouche. Oui, on fait partie d’une élite, mais à quelle élite on appartient sans travail ? Moi j’ai toujours pensé que le diplôme était une protection contre la précarité, aujourd’hui je me rends compte que absolument pas. Cela a été l’expérience la plus douloureuse pour moi de ces dernières années, je pense. De tomber de très haut, et de se dire qu’en fait les diplômes ne nous protègent de rien.”
Mais au delà de ces phénomènes que pensent vraiment les jeunes des enseignements, des stratégies de vie inculquées par les plus âgés ?
M. D. : Je suis vraiment agacée de voir sur les réseaux sociaux toujours des commentaires de la part des plus âgés, de travailleurs “expérimentés”, disant que nous les jeunes on est trop exigeant, on ne veut plus travailler, on a des attentes salariales trop élevées. J’ai envie de dire oui et non : Je pense qu’aujourd’hui notre génération ose beaucoup plus dire et s’affirmer au niveau des compétences. On sait ce que l’on vaut, on sait le dire. Je regarde la génération de mes parents qui avait pourtant l’air bien moins insécure, ils osaient beaucoup moins le dire, car je pense que le contexte était différent. Mais en fait on est aujourd’hui plus exigeant car le marché du travail est aussi plus dur je pense.
T. B : Je trouve que c’est un peu une vision téléologique dans la mesure où on veut nous faire aller d’un point A à un point B de manière directe. Quand j’étais ado j’ai déjà eu des conseils du style “aies ton bac à 18 ans, aies ton Bac+5 à 23 ans”. Une vision très française. Par rapport aussi à la valeur du diplôme. J’ai bossé un an en Allemagne dans le cadre de mes études, cela m’a permis aussi de voir que c’est un modèle pas forcément abject, mais du moins de plus en plus caduque. Les étudiants vont et doivent multiplier leurs expériences professionnelles et extra-académiques, c’est pour ça qu’encore une fois, les jeunes sont peut-être plus ambitieux. Oui, parce qu’il faut leur donner vraiment les moyens de réussir dans un monde qui change, et cela signifie peut-être qu’il faut éviter d’être tout le temps sur les bancs de la fac, de sortir de sa zone de confort, multiplier les expériences professionnelles. Sans tomber évidemment dans l’extrême opposé, de l’imposer : dire “toi tu vas aller trois ans à l’étranger, basta”. Non, ce serait simplement plutôt qu’on soit plus à l’écoute de ce que veulent les jeunes.
Des angoisses nouvelles
T. B. : Ce qui me fait peur aujourd’hui c’est le côté très incertain, très instable. J’ai 27 ans, je suis né en 1995, j’ai toujours connu la crise : que ce soit la crise de la bulle internet au début des années 2000, que ce soit la crise des subprimes en 2008, la crise de la Covid, la crise climatique en toile de fond, et qui est de loin la plus grave et la plus compliquée à appréhender. Donc c’est ce manque de visibilité : on ne sait pas de quoi sera fait le monde dans 10, 15 ans et cætera. Je pense qu’on change aussi de paradigme : aujourd’hui le CDI ce n’est plus la norme. Par contre, pour certaines structures, ça reste encore une norme qu’il faut atteindre : or, aujourd’hui quand tu vois des offres d’emplois peu importe où, tu vois que c’est très souvent des CDD, parfois de 12 mois, parfois plus ou moins. En tout cas, ça reste des courts contrats.
Il faut également ajouter les difficultés du présent, notamment d’une précarité qui persiste.
M. D. : “Je dirais que j’ai surtout peur à l’idée de revenir à la précarité, car là je suis en train d’en sortir. Je suis terrorisée à l’idée de revenir à une situation de précarité comme celle que j’ai pu connaître. La précarité c’est surtout ne jamais savoir si tu seras payée, combien ou quand tu seras payée. C’est d’être dans un système, pas seulement une structure, mais un système où on te dit “voilà tu seras payée peut-être le 10, ou peut-être le 11 ou le 12 du mois”. Tu ne sais jamais. Dans mon cas, j’étais payée entre le 10 et le 12, donc je ne pouvais pas payer mes loyers à temps. Heureusement, j’avais ma famille qui m’aidait, mais ce n’était pas le cas de tous les jeunes. J’aurais pu avoir des pénalités. En l’espace de mes quatre mois de contrat, je n’ai jamais pu payer mon loyer dans les temps. Je pense que quand on a connu l’incertitude et l’insécurité financière, je pense que cette peur reste un moment, et là honnêtement je me pose beaucoup de questions sur quel type de contrat, quel type de fonction professionnelle je veux. Est-ce que je veux être fonctionnaire, est-ce que je veux continuer dans le privé ? Pour la stabilité.”
Quels besoins ont les jeunes aujourd'hui ?
M. D. : “Aujourd’hui, je pense qu’il manque beaucoup plus de souplesse de la part des recruteurs, beaucoup plus de bienveillance de la part du système, ou en tout cas sensibiliser les entreprises au fait que si on n’a pas de première expérience, on ne peut jamais débuter une carrière. Essayer de sensibiliser encore plus les recruteurs là dessus. Je trouve ici que c’est un peu le serpent qui se mord la queue : j’ai déjà eu des recruteurs qui me disaient “je sais ce que c’est, je suis passé par là”... Mais un an plus tard, je suis toujours là..”
Martin Jugler, responsable de l’association Cop’1 à Paris et dans plusieurs villes en France,
organise des distributions hebdomadaires de paniers repas pour les
étudiants précaires :
"Nous ce qu’on remarque, c’est que les deux tiers des étudiants qui viennent nous voir aujourd’hui ne sont pas boursiers. Donc n’ont pas accès à ces repas à un euro en France aujourd’hui, et on donc besoin d’une autre aide. On l’explique par la hausse du coût de la vie, par le nombre d’aides qui restent limitées pour les étudiants. Et pour certains, la complexité d’accéder au marché de l’emploi, et de trouver un petit boulot."
T. B : “Oui, les jeunes galèrent. Déjà en France le taux de chômage des jeunes aujourd’hui est entre 18 à 20%, ce qui est plus de deux fois la moyenne nationale d’une part, et d’autre part largement supérieur à celui d’autres pays comme l’Allemagne ou la Suisse. Donc oui, il y a une galère énorme, que tu sois employé, à l’Université où peu importe où.”
Un programme en coproduction avec euranet plus, le réseau de radios européennes