Colonne Verbale

Colonne Verbale #5 - Secret d'essence

Colonne Verbale #5 - Secret d'essence

Chaque mois, retrouvez Pierre Maus dans l’émission Colonne Verbale, une sélection musicale douée de parole. Réalités infimes et fictions dérisoires s’entremêlent à des morceaux oscillant entre electro, groove et jazz.

La tracklist :

  • Black Devil Disco Club - « H » Friend
  • Patrick Cowley - Surfside Sex
  • Eddy Grant - Time Warp
  • Sauveur Mallia - Robot Avenue
  • Juju & Jordash – Rogue Wave
  • Dany Marchetti  - Vol.1
  • Les Mccann – It Never Stopped in My Home Town
  • René George Schenderling – Jump
  • Azzurro 80 - Piazza Navona
  • Venus In Furs - La valse de Salon
  • Silueta Pálida - El Paso Del Tiempo (Versión Remezclada)
  • The Colours That Rise - Axel G (Live)
  • Błoto - Prostactwo

Happyness OfficerCommunity RenewerChief Calypso Mentalist, etc. : on connait la propension des mega-entreprises à générer des rôles inédits, indescriptibles et autrement sui generis.

Chez GlobalEnergies, la fonction de Global Explanation Analyst a longtemps été innommée et invisible dans l’organigramme de la Global Business Unit, la GBU,majestueusement implantée à La Défense. Cette fonction existe pourtant depuis les années 50 au sein du groupe GlobalEnergies : elle consiste à recenser, analyser, et si possible annihiler les incidents inexpliqués survenus dans les stations-services du réseau GlobalEnergies.

D’abord affectées au coup par coup à d’anciens barbouzes, docteurs ès Françafrique, ces missions de résolution d’énigmes se sont progressivement structurées jusqu’à devenir une fonction, celle de Global Explanation Analyst donc, affectée à un Polyxtechnicien doté d’un budget et d’une pleine autonomie décisionnelle.

Avec plus de 15000 stations-services réparties sur l’ensemble du territoire monde, accueillant jour comme nuit véhicules et conducteurs cherchant à satisfaire leurs besoins les plus impérieux, on imagine aisément que les faits divers sont légion chaque année. Mais le Global Explanation Analyst n’a cure de cette foule d’événements de droit commun : ne relèvent de sa compétence que les épisodes échappant à celle des autres autorités.

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Un employé d’une station-service aux alentours de Nîmes se rendit compte l’après-midi du 27 février 2012 qu’il existait un léger décalage entre ce qu’il voyait se dérouler sous ses yeux à la pompe et les images qui étaient diffusées par les caméras sur les écrans de contrôle. L’incroyable résidant dans le fait que les images de surveillance parvenaient avec une petite avance par rapport à ce qui pouvait être observé en réalité depuis la caisse : le pistolet était raccroché en noir et blanc quelques instants avant que le client ne le repose bruyamment de l’autre côté de la vitrine ; les pixels montraient la porte avant conducteur claquer juste avant que le son de France Info ne soit étouffé dans l’habitacle, etc.

On interrogea l’ensemble de l’équipe et le service de nettoyage : le décalage temporel était indéniable ; en revanche, impossible de savoir s’il était nouveau ou existait dès l’installation du matériel : personne, en tout cas, ne l’avait remarqué jusqu’alors.

L’affaire est arrivée sur le bureau du Global Explanation Analyst qui, à défaut d’explication, conclut, en concertation avec la direction juridique et la direction compliance et affaires publiques du groupe, à l’absence de problématique éthique ou légale associée au phénomène.Décision fut donc prise de ne rien changer. On continuerait à voir les choses advenir sans intervenir.

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Le 2 janvier 2000, la station-service de La Défense, à proximité immédiate du siège du groupe GlobalEnergies fut assaillie par des milliers et des milliers d’oiseaux.

A la manière du film d’Hitchcock, quelques pigeons infirmes se posèrent d’abord sur le toit de la station de manière anodine, puis de plus en plus toute l’après-midi, rejoints en ordre dispersé par toutes sortes d’oiseaux perchés sur les pompes, les tuyaux, les poignées de porte, les bouches d’aération, partout. Tous sifflaient, babillaient, roucoulaient, hululaient, couaquaient, gazouillaient, zinzinulaient jusqu’à former une cacophonie assourdissante. L’équipe essaya en vain de les effrayer, on appela les pompiers, qui appelèrent à leur tour les policiers. Rien n’y fit, leur nombre ne faisait que croitre.

A un certain point on craignit même pour l’intégrité de l’installation électrique à l’arrière du bâtiment et l’on prit la décision d’évacuer la station.

On était dans l’attente d’une décision du préfet quant à l’évacuation du quartier compte-tenu des risques induits par un éventuel départ d’incendie dans les locaux techniques, lorsque tous les volatiles détalèrent dans le raffut d’innombrables battements d’ailes.

Quelques minutes après, les secours purent pénétrer dans le site pour le sécuriser, à la suite de quoi l’équipe reprit possession d’une station-service détériorée et souillée. Saisi du dossier, le Global Explanation Analyst se rapprocha d’équipes de chercheurs et parvint à identifier des épisodes d’immenses regroupements d’oiseaux apparemment impromptus, mais jamais toutefois dans un laps de temps aussi court, et jamais surtout regroupant une telle diversité d’espèces.

Par ailleurs, le Global Explanation Analyst consigna dans son rapport le fait que l’épisode était intervenu le jour où le pétrolier poubelle Ulrika affrété par le groupe GlobalEnergies fit naufrage au large de la Bretagne, sans toutefois pouvoir établir de relation.

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À plusieurs reprises, sur une dizaine d’années, des chauffeurs routiers stationnant pour la nuit sur les places réservées aux poids lourds d’une station d’autoroute GlobalEnergies près de Séville ont prétendu avoir vu une femme vêtue de blanc sortir du brouillard et progresser vers leur cabine, le visage déformé par un cri pourtant inaudible.

Ils décrivent tous une salissure remontant progressivement sur ses habits blancs jusqu’à la disparition de l’apparition en une flaque de pétrole au sol.Le Global Explanation Analyst a conclu à une mise en scène d’activistes écologistes.

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En  2017, le Global Explanation Analyst du groupeGlobalEnergies imaginait publier un recueil des affaires les plus étonnantes et/ou effrayantes. L’opus aurait eu pour sous-titre : Un panorama d’une paranoïa.

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En dépit de nombreuses sollicitations, le Global Explanation Analyst du groupeGlobalEnergies refuse de prendre en charge comme inexpliqués, les cas rapportés à de nombreuses reprises, dans différentes régions du monde, où les toilettes mis à disposition du public se retrouvaient systématiquement et méthodiquement salies à peine les équipes d’entretien les avaient nettoyées.

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Compte-tenu du grand nombre d’affaires demeurées irrésolues, la direction générale du Groupe GlobalEnergies a récemment pris la décision d’allouer plus de moyens au Global Explanation Analyst tout en sachant que cela ne changerait rien. Parfois, le capital a ses raisons que la raison ne connaît pas.

Crédit : Dark Entries Records - Mexican Tecno Pop 1980​-​1989 ● Artwork : Gwenaël Rattke