Épisode 2 de notre nouveau rendez-vous Les épidémies dans l’histoire, en partenariat avec le Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique (CRHIA) des Universités de Nantes et La Rochelle.
Depuis quelques semaines, nous vivons à l’heure du Covid-19, pandémie qui bouleverse notre quotidien. Si nous avons été surpris, on oublie que de nombreuses épidémies graves ont rythmé l’Histoire. Exemple avec la peste qui frappa l’Europe du Nord au début du XVIIIème siècle. Avec nous pour en parler, Eric Schnakenbourg, professeur d’Histoire moderne à l’Université de Nantes et directeur du Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique.
Pourriez-vous rapidement synthétiser dans quel contexte l’épidémie de peste s’est-elle propagée en Europe du Nord ?
"Le début du XVIIIème siècle en Europe du Nord fut marqué par une grande guerre, qui dura plus de vingt ans, entre la Suède d’un côté et tous les autres pays riverains de la Baltique, notamment la Russie, de l'autre. Ce fut une guerre absolument terrible. Les populations ont souffert d’une série d’invasions, d’attaques et de contre-attaques. Par ailleurs, il y avait un contexte épidémique qui était particulièrement difficile, parce que la peste était à un état endémique dans cette Europe du Nord. Il y avait aussi des perturbations de la production agricole. Donc on avait une population particulièrement affaiblie et donc particulièrement vulnérable à une épidémie de peste aussi terrible que celle qui la frappa en 1709-1710, et dans les années suivantes."
Est-ce qu’à l’époque les pays du Nord de l’Europe étaient préparés à affronter une épidémie de peste ?
"Ni plus ni moins que les autres pays européens. On prenait des mesures de confinement, déjà à l’époque. On mettait les navires qui venaient de régions suspectes en quarantaine, et puis on délivrait des certificats de santé pour les individus qui venaient de régions lointaines, pour s’assurer qu’ils ne transmettent pas la maladie dans des villes qui étaient épargnées. Une fois que la maladie se propageait à l’intérieur d’une ville ou d’une région, il était extrêmement difficile de la combattre."
Est-ce que l’on connaissait l’origine de cette maladie d’un point de vue scientifique ? Est-ce que l’on savait comment se transmettait la maladie ?
"Non, on ne savait pas comment se transmettait la maladie. Le bacille de la peste ne sera découvert qu’au XIXème siècle, mais au début du XVIIIème siècle, on avait plusieurs types d’explications. D’abord, l’idée selon laquelle il y avait des 'miasmes' dans l’atmosphère. Comme si l’atmosphère était malsain et qu’il fallait le purifier. C’est la raison pour laquelle on organisait des grands brasiers, des grands feux qui devaient assécher l’air et en retirer les 'miasmes'. En Suède, il y avait aussi l’idée que la peste était une punition divine, pour punir les Suédois des péchés qu’ils avaient pu commettre. Il y a donc toute une lecture morale, voire religieuse, de cette épidémie de peste."
Quel fut l’impact de cette épidémie sur la population nord-européenne ?
"Ce fut vraiment une épidémie assez terrible, puisque des régions comme l’Estonie vont perdre 76 000 habitants et une ville comme Stockholm va perdre une grande partie de sa population : plus d’un tiers de ses habitants. Mais, il est assez difficile d’avoir des chiffres précis, puisque les gens qui en avaient les moyens quittaient la ville. Par conséquent, il faut plutôt mesurer l’impact de l’épidémie de peste par rapport aux populations qui demeuraient sur place. Et d’après ce chiffre, il y avait donc à peu près la moitié des habitants qui décédaient de la peste.
Ce qu’il y avait de terrible avec les épidémies de peste, c’est que la maladie était extrêmement virulente pendant un lapse de temps très court. Pendant quelques semaines, un mois, deux mois, il pouvait y avoir un tiers ou la moitié de la population d’une ville qui disparaissait. Il y avait donc un impact psychologique extrêmement important, en plus de la seule mesure de la mortalité."
Est-ce que cet événement va permettre de mettre en place des mesures préventives d’hygiène ?
"Il y a eu effectivement de très fortes répercussions économiques. La peste entre dans un cercle vicieux et fait partie de ce que l’on appelle les trois fléaux qui frappent les populations à cette époque, à savoir : la guerre, la maladie et la famine. La guerre parce que les soldats qui se déplacent de régions en régions transportent avec eux les épidémies, qui vont donc frapper les populations, lesquelles sont déjà affaiblies de par les contributions qu’elles doivent verser aux troupes étrangères. Les populations sont peu nourries, elles sont donc vulnérables aux épidémies. Par conséquent, ces trois facteurs sont aggravants, ce qui explique la forte mortalité que l’on a eu à cette époque-là, et le contexte de guerre est encore une fois extrêmement important. Et puis, il y a une donnée qui échappe complètement aux hommes, c’est la météo. En 1709, il y a un 'grand hiver', une période extrêmement froide aux mois de janvier et février en Europe du Nord, ce qui va encore affaiblir les populations. Si l'on fait le bilan de cette peste, il est absolument terrible, puisqu’il y a eu une conjonction de facteurs aggravants."
Pour tout savoir sur la peste qui frappa l’Europe du Nord au début du XVIIIème siècle, rendez-vous sur la chaîne YouTube du Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique.
Ecoutez la série de décryptages "Les épidémies dans l'histoire" :
Découvrez également l’émission Les Voies de l’Histoire, une coproduction euradio – CRHIA.