Quatrième épisode de notre série Les épidémies dans l’histoire en partenariat avec le Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique (CRHIA) des Universités de Nantes et La Rochelle.
Aujourd’hui nous retrouvons Annick Peters-Custot, professeure d’histoire du Moyen-Age à l’Université de Nantes, pour parler de la fameuse Grande Peste ou peste noire qui frappa à partir du 14e siècle.
Est-ce qu’on peut rapidement rappeler à nos auditeurs où apparaît la peste, comment s’est-elle propagée, et surtout dans quel contexte historique ?
Alors c’est un petit peu compliqué parce que les sources documentaires ne sont pas toujours précises. Ca se passe en 1347, le long de la Mer Noire où il y a précisément ces colonies de marchands génois qui réceptionnent les produits arrivés d’extrême-Orient qu’ils vont transporter dans toute la Méditerranée. Donc en gros, le contexte est celui à la fois d’une unification politique de l’extrême-Orient qui favorise le commerce et puis du développement extrêmement considérable du commerce italien qui va donc, par les moyens de communication de l’époque c’est-à-dire le commerce maritime, fluvial et terrestre, disséminer le long des grands axes de communication commerciale l’épidémie, à partir de la Sicile, depuis Messine jusqu’à Marseille. Puis la diffusion se fait d’une manière extrêmement rapide puisque toute l’Europe est touchée en 1348.
Cette épidémie de peste a vraiment marqué l’histoire tant elle a eu un effet dévastateur. Pourquoi ? On imagine que c’est parce que la population était déjà affaiblie ?
Il est certain qu’une épidémie “réussit” lorsqu’elle frappe une population déjà affaiblie. Au début du 14e siècle, c’est vraiment le cas de l’Occident dont les structures socio-économiques sont fragilisées avec la surchauffe démographique, une récession économique, une grande famine en 1315-1317, des crises du salariat, des révoltes urbaines… Grosso modo, le tissu socio-économique est particulièrement réceptif à ce type d’épidémie et les effets sont dévastateurs puisqu’on estime qu’en une dizaine d’années, la population de l’Occident perd la moitié de sa démographie, c’est absolument considérable et fortement traumatique.
En quoi cette épidémie de Peste a-t-elle marqué un tournant dans l’histoire ?
Alors, c’est difficile à dire. Oui, en deux ans, le monde tel qu’il existait n’est plus le même. Les villes se dépeuplent, tout le tissu économique et productif est complètement désorganisé, c’est le début aussi de la guerre de Cent ans… Le contexte est extrêmement perturbé. Les élites intellectuelles et politiques sont elles aussi traumatisées et “décapitées” dans la mesure où la peste ne fait pas de sélection sociale. Donc effectivement on a un grand bouleversement. Le Royaume de France ne retrouvera par exemple sa démographie de 1280 qu’au 17e siècle ! La récupération sera extrêmement lente.
En revanche, on ne peut pas dire que la grande peste a été l’occasion de mettre à plat toutes les structures socio-économiques existantes, la vie politique ou le capitalisme. Cela n’a pas été le cas.
A cette époque-là, comment appréhende-t-on la maladie ? Est-ce qu’on commence à fonder des théories qui reposent sur de réels raisonnements scientifiques ou bien a-t-on encore une lecture religieuse de la maladie ?
Et bien en fait, les deux en même temps. Pour l’essentiel de la population, les fléaux comme les famines, les épidémies et les guerres sont des punitions divines, qui sont là pour frapper les hommes et manifester la colère de Dieu à l’égard des péchés. En même temps, il y a quand même un discours médical “rationnel”, dont la rationalité nous échappe aujourd’hui, mais qui essaye d’expliquer l’épidémie par des causes soit astronomiques, soit en expliquant qu’elle se propage par la “corruption” de l’air. On pense en effet que c’est l’air qui est pollué, éventuellement par des conjonctions astrales. Le Roi de France demande très vite au maître de l’Université de Paris de faire un rapport sur les causes éventuelles de l’épidémie et on développe toute une théorie astronomique sur la pollution de l’air, par des alignements de planètes et d’astres. C’est-à-dire qu’il y a une vraie rationalité même si elle ne correspond pas à la rationalité médicale et scientifique d’aujourd’hui, qui pour la peste a d’ailleurs été développée très tard puisqu’on a isolé le bacille qu’à la fin du 19e siècle.
Pour tout savoir sur le sujet, rendez-vous sur la chaîne YouTube du Centre de Recherche en Histoire Internationale et Atlantique.
Découvrez également l’émission Les Voies de l’Histoire, une coproduction euradio – CRHIA.