Les épidémies dans l'histoire

Boccace : le récit du confinement idéal au XIVème siècle

Boccace : le récit du confinement idéal au XIVème siècle

Épisode 9 de notre rendez-vous Les épidémies dans l’histoire, en partenariat avec le Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique (CRHIA) des Universités de Nantes et La Rochelle.

Comme chaque semaine, nous remontons le temps sur la piste des épidémies qui ont marqué l’histoire. Aujourd’hui, direction la Toscane au 14e siècle pour parler du confinement décrit par Boccace, dans son oeuvre, le Décaméron. Et c’est John Tolan, professeur d’histoire médiévale à l’université de Nantes, membre de l’académie EUROPEA, qui est présent pour en parler avec nous. 

Avant de commencer John, est-ce qu’on pourrait rapidement présenter l’oeuvre, ça raconte quoi finalement le Décaméron ? 

Alors, Giovanni Boccaccio est l’un des grands auteurs européens du 14e siècle. Il écrit en latin mais le Décaméron est écrit en italien et il s’agit d’une collection de cent nouvelles racontées par dix jeunes gens pendant dix jours de confinement, des suites de la grande peste qui frappe Florence et l’Europe à cette époque-là. 

Comment se déroule ce confinement ? C’est un peu un confinement idéal, non ? 

Tout à fait. Au début de l’œuvre, sept jeunes femmes se retrouvent dans une église de Florence où frappe la peste. Boccace décrit ça comme un chaos à la fois sanitaire et médical mais aussi politique puisqu’il n’y a plus d’autorité, il n’y a plus de gouvernement à proprement parler. 

Ces sept jeunes femmes vont donc décider de quitter la ville avec trois jeunes hommes qu’elles connaissent. Tous partent avec leurs serviteurs respectifs et au total, une vingtaine de jeunes se retrouvent dans la campagne toscane, dans les villas de leurs familles. Le cadre est idyllique : leurs serviteurs préparent les repas, ils se promènent dans les jardins en fleur car c’est le printemps et ils se racontent des histoires. C’est un confinement de luxe, avec pour règle de base de ne pas parler de la peste ni de la mort.  

Il y a donc un réel contraste entre la vie que vivent ces jeunes gens confinés à la campagne et ce qu’il se passe en ville ? 

Tout à fait. Au début de l’œuvre, Boccace fait une description très détaillée, quasi médicale des symptômes, des effets de la maladie sur les habitants, et sur la société en général. Boccace demande même à ses lectrices qu’elles ne soient pas offensées par l’horreur de cette description. Pour lui, commencer par des pages qui relatent d’une situation négative et horrible c’est un moyen de pouvoir mieux apprécier le reste de l’œuvre où tout n’est qu’ idyllique. 

Donc le Décaméron témoigne finalement de cette peste horrible, la peste noire qui touche notamment la Toscane au 14e siècle, et Boccace s’en sert de prétexte pour raconter l’histoire  de ces jeunes gens partis se confiner à la campagne. Ces jeunes gens vivent dans une bulle, dans un monde idéal où “il faut vivre une fête permanente”, il est “interdit de parler de la mort et de la maladie”. Est-ce que le Décaméron ne témoigne pas non plus de ce besoin face à l’horreur, de se réfugier dans un monde parfait ? 

Absolument ! Certaines des histoires qui sont racontées par ces jeunes se déroulent à Paris, en Égypte… Boccace écrit pour une élite florentine, celle des marchands, qui ont voyagé dans le monde méditerranéen.  Faire appel à des horizons lointains permet effectivement de s’évader. Certains récits sont drôles et critiques sur la société et l’église. Boccace prétend que ce n’est pas lui qui parle, notamment lorsqu’il parle des moines qui ne respectent pas leur vœu de célibat. En fait, Boccace fait parler ses personnages, il fait parler ces jeunes pour pouvoir dire ce qu’il a à dire. 

Pour plus d’informations sur le sujet, rendez-vous sur la chaîne YouTube du Centre de Recherche en Histoire Internationale et Atlantique.

Découvrez également l’émission Les Voies de l’Histoire, une coproduction euradio – CRHIA.