L'état de l'État de droit - Elise Bernard

L'État de droit face aux suspicions de financements russes

L'État de droit face aux suspicions de financements russes

Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur euradio les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.

L’Etat de droit c’est garantir la diversité des opinions mais c’est aussi faire preuve de transparence et un an après le Qatargate on parle d’un Russiagate avec des eurodéputés suspectés d’être financés par la Russie pour répandre la propagande du Kremlin.

Clairement Laurence, nous avons passé un cap.L’année dernière, la question était de savoir si l’on pouvait imaginer rétablir un dialogue avec le Kremlin ou discuter du soutien à l’Ukraine dans l’effort de guerre. Mais avec l’élection de Peter Pellegrini, et les félicitations de Viktor Orban à Vladimir Poutine pour sa réélection, tout ceci prend une autre tournure.

En effet, là il n’est plus question d’user un levier pour exister plus lourdement sur la scène internationale mais bien d’insinuation des intérêts russes dans nos institutions européennes.

Oui voilà. Ce n’était un secret pour personne que, par exemple, le Rassemblement national avait pu emprunter des fonds auprès de banques russes.

Le montant était toujours dû au moment où les troupes russes sont illégalement entrées sur le territoire ukrainien.

Oui, là le prêt aurait été remboursé en septembre 2023. Mais on peut aisément penser que ce parti peut se montrer plus indulgent avec le pays qui lui a permis de continuer son activité politique en lui prêtant de l’argent quand il était en difficulté.

D’accord mais là c’est inquiétant, il n’est plus juste question de limiter la mauvaise image d’un pays, il est maintenant question de la Russie qui corrompt des élus européens. Une corruption qui vise donc la destruction des valeurs de l’UE de l’intérieur, de rendre admissible la guerre d’invasion, de décrédibiliser les Ukrainiens dans leur résistance à l’agression.

C’est vrai que les révélations de ces derniers jours ont emportéune accélération des événements aboutissant à climax inattendu. Là on a quand même une eurodéputée russophone de Lettonie, nostalgique de l’URSS, qui siège depuis vingt ans au Parlement européen, qui serait une agente du FSB.

Avec donc la possibilité de transmettre des informations à la Russie!

Exactement, c’est ce qui est choquant. On peut admettre qu’il y ait une élue représentant les russophones de Lettonie. Pas de problème. Etre nostalgique de l’URSS, pourquoi pas. Mais être agent des services de sécurité de l’Etat accusé, à l’heure actuelle, de rupture de la paix et de la sécurité internationale, cela revêt une dimension inédite! Le positionnement de cette députée européenne à l’égard du Kremlin n’était un secret pour personne. Mais une telle nouvelle, à l’approche des élections européennes, ne peut pas rester sans conséquence dans la campagne, au moment de désigner des représentants au suffrage universel direct.

Est-ce qu’on peut craindre que cela décourage les citoyens européens à se rendre aux urnes pour désigner les prochains députés européens, en juin, ces histoires de corruption et d’espionnage?

Possible que certains se disent qu’il est inutile de se déplacer pour voter dans une logique du “tous pourris”. Donc on peut craindre un encouragement à l’abstention. Il est aussi possible que le scandale - et on verra les résultats de l’enquête! - en mobilise d’autres, aller voter c’est encore la meilleure façon pour mettre en minorité des représentants d’intérêts qui nous semblent contraires à ce que l’on veut faire de la construction européenne.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.