À propos d’Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L'État de droit c’est garantir la liberté d’expression mais comment s’assurer de sa bonne application au regard de toutes les formes d’expression qui existent ?
Bonne question. On a déjà vu une forme d’expression par le biais des manifestations, comme celle de l’EuroPride : un regroupement de personnes va rendre visible un discours militant. Ce groupe a par principe le droit de s’exprimer, il ne peut être limité que s’il remet en cause un autre principe. Pour les manifestations, c’est souvent celui le principe fondamental du droit à la sûreté.
On comprend bien comment un regroupement peut amener à la défiance des pouvoirs publics mais c’est difficile à imaginer pour les autres moyens d’expression.
En effet, la plupart du temps, l’usage du droit fondamental à s’exprimer va se confronter à une revendication non pas des pouvoirs publics mais à une personne privée.
Imaginons un·e artiste qui peut se moquer d’une personnalité publique, cette dernière va invoquer la violation d’un de ses droits fondamentaux : sa dignité, le respect à sa vie privée.
Ce sont des affaires souvent médiatisées et qui emportent un débat de société.
Exactement et c’est tout à fait sain. C’est ce qui nous permet d’assister aux évolutions sociétales : elles sont souvent impulsées par des manifesattions, des performances artistiques, elles dérangent, mettent en exergue un clivage. C’est là que la justice intervient pour trouver le bon équilibre.
Parlant des performances artistiques, c’est ce qui s’est passé avec la militante Femen en 2013 qui avait posé dénudée à l’église de la Madeleine à Paris ?
Oui et pour être plus précise, cette activiste agissait dans le cadre d’une action internationale organisée par son mouvement pour dénoncer la position de l’Église catholique à l’égard de l’IVG. Cette action fut annoncée comme telle et donc médiatisée puisque des journalistes étaient présents. Ont donc circulé dans les médias une femme à la poitrine dénudée avec, peint sur son torse "344ème salope" en référence au manifeste de1971. Sans rentrer plus dans les détails, l’image a choqué.
Cette activiste avait d’ailleurs été condamnée, il me semble.
Oui le maître de chapelle présent et, donc choqué, avait déposé une plainte au pénal pour des faits d’exhibition sexuelle commis, dans une église. La justice française a condamné l’activiste Femen pour cela.
Or, la semaine dernière, retournement de situation : la Cour EDH de Strasbourg reproche justement à la justice française de ne retenir que le caractère exhibitionniste des faits. Or, cette activiste n’est pas venue là pour déranger le maître de chapelle, puisqu’elle a quitté les lieux dès qu’il lui a demandé, sans résister.
Poser ainsi en ce lieu et se faire prendre en photo par des journalistes relevait - clairement - de la performance artistique avec objectif de s’exprimer. Ici sur la position de l’Eglise catholique sur l’IVG.
La Cour de Strasbourg nous donne donc une nouvelle forme de possibilité de la liberté d’expression ?
Voilà, la Cour EDH, qui prend bien la peine de s’assurer qu’elle n’avait l’intention de nuire à personne, en tout cas pas plus que de s’exprimer sur un désaccord, admet qu’on peut s’exprimer ainsi. Certes, il y a exhibition répréhensible par la loi mais ce qui peut être considéré comme un délit peut être remis en cause par les nécessités de la liberté d’expression. C’est ainsi que les juges trouvent le point d’équilibre.