L'état de l'État de droit - Elise Bernard

Remettre en cause les frontières, est-ce contraire à l'État de droit ?

Remettre en cause les frontières, est-ce contraire à l'État de droit ?

À propos d’Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.

L’état de droit, c’est le respect de l’égalité souveraine des États et leur intégrité territoriale mais on voit bien actuellement que, dans les faits, la réalité s’éloigne des principes.

C’est vrai, ces principes se sont vus sérieusement remis en cause dernièrement. Ils impliquent que tous les États décident de leur sort, en dernier ressort et qu’aucun autre ne doit venir modifier le tracé des frontières par la force. Encore une fois c’est un principe, cela n’est jamais immuable mais il faut bien admettre qu’à l’heure actuelle il est remis en cause.

Remettre en cause les frontières d’un État c’est donc contraire à l’État de droit.

Pas forcément. Un principe peut toujours avoir à se plier à des exceptions, des frontières peuvent être reprécisées dans un traité international voire devant la Cour internationale de justice, de La Haye, qui traite des affaires relevant du droit international public entre États. Mais là, on se trouve bien face à un principe fondamental d’intégrité et c’est pour cela qu’on l’accole à l’égalité souveraine des États. Cela signifie qu’un État ne peut pas modifier la délimitation territoriale d’un autre État parce qu’il s’estimerait légitimé à le faire.

Sur quel fondement un État peut se dire légitimé à faire une telle chose ?

Ce qui se passe actuellement sur notre continent, c’est le Kremlin qui invoque un autre droit fondamental ; droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est un principe qui a émergé avec la décolonisation : les peuples ont fondamentalement le droit de disposer d’eux-mêmes. Faire partie d’un état multinational par exemple, avec divers niveaux d’autonomie, ou créer leur propre État. Le problème qui se pose avec la Russie actuellement c’est que des régions des ex-Républiques soviétiques sont majoritairement russophones. Et la mère patrie, parce qu’elle se présente ainsi, intervient militairement pour permettre à ses zones de déclarer leur indépendance.

C’était le message du 21 février 2022 de Vladimir Poutine reconnaissant l’indépendance du Donbass !

Voilà, on avait sur ce territoire des mouvements séparatistes, donc ils avançaient leur droit fondamental de disposer d’eux-mêmes et donc, ne plus faire partie de l’État d’Ukraine. Là où il y a violation du droit international public, c’est que les troupes russes se sont introduites en Ukraine à la suite de cette reconnaissance. Et sont allés bien au-delà de ce territoire sur la base d’arguments qui n’ont plus rien à voir avec le droit d’ailleurs.

Ah oui, quand on entend les discours pro-Kremlin, on est très loin d’un sentiment d’égalité souveraine des États !

Oui, les discours en sont une illustration. Ce qui est plus inquiétant, on en a déjà parlé, c’est leur surreprésentation dans l’espace de communication ce qui donne l’impression qu’ils sont plus légitimes que leurs contre-arguments. Invoquer le droit des peuples russophones à disposer d’eux-mêmes soit, réclamer justice pour les abus des puissances publiques, rien à redire à cela. Mais l’assortir de discours calomnieux et de haine ponctué de bombardements et de massacres, on ne peut vraiment pas dire que l’on invoque un quelconque droit fondamental avec de tels procédés.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.

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