Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, Élise Bernard décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’État de droit c’est assurer le bon déroulement des procédures grâces à des contrôles et des sanctions mais est ce que ces sanctions sont financières comme on a pu le voir précédemment ?
C’est vrai que « taper au portefeuille » a toujours constitué une sanction efficace. La Commission en est d’ailleurs venue à ce type de sanctions du fait de la -semble-t-il impossible application de l’article 7 du TUE.
C’est cet article qui suspend le droit de vote au Conseil de l’État membre, reconnu responsable du non-respect de l’État de droit.
C’est cela, c’est une sanction d’ordre institutionnel qui prive à un État membre la possibilité de participer à la prise de décision, au moment d’élaborer la législation, avec les autres exécutifs de l’Union européenne.
C’est la seule sanction institutionnelle qui existe ?
Non, à l’occasion du qatargate, on a pu observer la levée de l’immunité de deux députés européens afin d’assurer une instruction la plus impartiale possible. Ces deux députés ont aussi d’ailleurs été exclus de leur groupe politique au Parlement européen. Alors on ne remet pas en cause leur mandat mais en tant que non inscrits ils ne disposent plus des mêmes avantages en terme de visibilité – pour aller un peu vite – et la levée de leur immunité signifie que l’instruction sera prioritaire sur toutes leurs activités législatives et politiques. Leur mandat se retrouve, dans les faits, possiblement remis en cause quant à ce qu’ils veulent en faire, concrètement.
De mémoire, le Parlement avait quelque peu improvisé pour sanctionner ainsi.
C’est vrai, et il ne semble pas vouloir se limiter à ces deux députés liés au qatargate. Maintenant on parle de remettre en question la capacité d’un État membre, la Hongrie pour ne pas la citer, à assurer la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne prévue pour le second semestre 2024.
C’est vrai que l’État membre qui assure la présidence du Conseil de l'UE planifie et préside les réunions des exécutifs chargés de voter et amender la législation.
Oui, les euro-députés craignent plusieurs choses : que cette présidence dépense surtout son énergie à bloquer les processus législatifs d’abord et surtout, une impitoyable décrédibilisation sur la scène internationale ! Comment permettre à Viktor Orban de présenter des orientations politiques, pour 6 mois, pour l’UE qu’il présente comme une résurgence du IIIe Reich ?
D’autant qu’il se fait encore remarquer quant à ses amitiés à l’égard du Kremlin.
En effet Laurence et sans rentrer dans les détails, cette attitude lui fait perdre le soutien d’un gouvernement allié : le gouvernement polonais. Car s’ils poursuivent, disons, un modèle de société européenne similaire, cette complaisance de Budapest à l’égard de Moscou n’est pas tolérable pour Varsovie. Sans aller plus loin, on imagine bien que de nombreux eurodéputés, même de sensibilité politique semblable, ne peuvent plus soutenir la Hongrie très longtemps.
Comme quoi, les stratégies politiques en Europe ne font pas le poids face aux idéaux de paix et principes fondamentaux de droit à la sûreté.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.