L'état de l'État de droit - Elise Bernard

L’Europe et le Grand Nord

L’Europe et le Grand Nord

Elise Bernard, docteur en droit public et enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur Euradio les implications concrètes de l'État de droit dans notre actualité et notre quotidien. Ses analyses approfondies, publiées sur la page Europe Info Hebdo, offrent un éclairage précieux sur ce pilier fondamental de l'Union européenne.

L’Etat de droit c’est le respect des souverainetés alors comment peut-on comprendre les annonces de Donald Trump visant à annexer le Groenland ?

Alors derrière ces formules à l’emporte-pièce, on perçoit des logiques impérialistes évidentes à propos d’enjeux géopolitiques régionaux que l’Union européenne semble avoir trop longtemps négligés.

Même si le slogan “Make America Great Again” est emprunté à Reagan, Trump admire plus particulièrement deux de ses prédécesseurs ayant marqué l’Histoire par leur expansionnisme : McKinley et James Polk.

Oui on retrouve encore ce fantasme de la gloire passée d’une civilisation qui doit être considérée comme supérieure. Et alors que l’Arctique devient l’objet de convoitises, les pays nordiques ayant - souverainement je le rappelle - fait le choix d’une dépendance stratégique aux Etats-Unis se trouvent dans une situation très délicate.

Rappelons que la Norvège, le Danemark et l’Islande sont des Etats fondateurs de l’OTAN, donc membres depuis 1949.

En plus de cela, se trouve une base militaire américaine au Groënland depuis 1941. Le Danemark a -souverainement encore - admis cette installation dans un contexte qu’il est aisé de saisir. Mais aujourd’hui, entre l’essor des revendications indépendantistes groenlandaises, les inquiétudes de la Norvège, frontalière de la Russie, et l’éventualité d’une relance du processus d’adhésion de l’Islande à l’Union européenne, la région est en pleine recomposition.

Des élections se sont tenues au Groenland d’ailleurs, le 12 mars dernier.

En effet, le Groenland, territoire autonome du Danemark non compris dans l’UE, mais peuplé de citoyens européens car citoyens danois, a tenu des élections législatives et c’est le parti de centre-droit, le plus opposé aux velléités trumpiennes, qui s’est imposé. Les nationalistes défenseurs d’une rupture totale avec Copenhague, ont décroché la deuxième place. Cela signifie que l’aspiration à l’indépendance est largement partagée par la population du Groenland, ce sont les conditions de cette émancipation qui posent encore question. Ils se décideront, souverainement, au regard des circonstances.

Le Groenland est fragile économiquement parlant, c’est pour cela que Trump avait même avancé l’idée d’acheter l’ile.

Oui, c’est scandaleux comme il faut pour que cela mérite une surreprésentation dans l’espace communicationnel. Au-delà, l'intérêt stratégique, il est évident : l’Arctique est la trajectoire la plus courte entre l’Amérique du Nord, la Russie et la Chine. En plus, la navigation maritime s’est trouvée encore facilitée par la fonte accélérée des glaces dans la région. Sans oublier les minéraux précieux. Cela signifie que si le recours à la force pure semble improbable, Trump dispose bien de l’arme économique, et veut attirer les partisans de l’indépendance groenlandais. Mais bon, je ne pense pas qu’ être indépendant de Copenhague et de l’UE pour devenir dépendant des investisseurs américains soit un bon deal.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.