Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, Élise Bernard décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’État de droit, c’est un rempart aux ambitions autocratiques, on le voit en Europe pourla Hongrie, mais est ce que des mécanismes peuvent permettre de résister longtemps ?
Alors, je ne vois pas l’avenir, mais il y a un exemple – surprenant - dans le monde de résistance aux ambitions autocratiques du parti unique permise par un texte constitutionnel. C’est le cas de Taiwan.
On est bien d’accord que l’État de droit n’est pas un monopole européen ou occidental.
On est bien d’accord ! À l’occasion de ces chroniques, nous apportons un éclairage sur ce que l’on peut appeler une vision exigeante de l’État de droit. Pour maintenir cette exigence, il faut de la volonté politique, évidemment, mais on peut admettre qu’un bon outil constitutionnel est plus qu’utile.
Cela signifie que nos liens avec Taiwan vont plus loin que ce qu’implique la situation géopolitique actuelle?
Voilà, on ne va pas revenir sur l’opposition Chine communiste et Chine nationaliste post Seconde Guerre mondiale. Ce qu’on peut relever cependant, c’est qu’à partir de 1972, Taiwan engage ce que l’on appelle l’alternance démocratique, en organisant des élections législatives sur une base constitutionnelle, au suffrage universel direct.
Avec j’imagine de représentants plus représentatifs des aspirations des populations.
Évidemment, les populations n’ont pas pour ambition de conquérir/reconquérir des territoires. Elles peuvent éventuellement avoir des intérêts d’ordre privé sur ces territoires. C’est ainsi que Tai Pei admet que Pékin exerce sa souveraineté sur l’espace continental et admet, clairement à la fin de la guerre froide, ne pas avoir à remettre en cause le parti unique communiste sur le continent.
En reconnaissant la souveraineté exercée sur le continent, Taiwan fait donc passer le message qu’elle dispose de sa propre souveraineté.
Oui, sur la même base constitutionnelle d’après-guerre, c’est ça qui est intéressant, avec des modifications adoptées en fonction des circonstances. Comme en Europe finalement ! Les modes de scrutin universel direct s’étendent aux chefs de l’exécutif donc personne ne remet en cause l’identité chinoise à Taiwan, sa culture, son histoire. Mais pour se distinguer de leurs frères du continent, les taïwanais·es adoptent un contre-modèle orienté vers des méthodes de démocratie représentative avec une base constitutionnelle et non pas des conclusions du sommet du parti unique.
À l’heure actuelle sur quels sujets pouvons-nous échanger avec Taiwan en ce qui concerne un Etat de droit exigeant ?
L’ordre juridique taïwanais comme nous se trouve actuellement en quête de solutions sur de nouveaux terrains pour le respect des droits fondamentaux à l’ère numérique. Les discussions portent aussi sur la possibilité des couples homosexuels mariés d’adopter des enfants. Il y a un peu plus de trois ans, nous avons pu découvrir que Taiwan disposait déjà des outils législatifs et des bases constitutionnelles pour apporter une solution conforme à l’État de droit, à la pandémie de Covid-19. Parce qu’elle avait déjà eu à s’adapter lors de l’épidémie de SRAS 20 ans auparavant. Nos calendriers sont plutôt synchronisés, reste à voir si comme la Lituanie, nous allons plus loin dans cette communauté de vue avec Taiwan.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.