Les sols, merveilles invisibles

Charles Darwin - Partie 2

Rakesh.infosys, CC BY-SA 4.0 Charles Darwin - Partie 2
Rakesh.infosys, CC BY-SA 4.0

Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.

Aujourd’hui, nous devrions avoir la suite de l’histoire de Darwin et de son amour pour les vers de terre.

C’est ça. Amour je ne sais pas. Grand intérêt surement !

Précédemment, avec l’aide de deux collègues Christian Feller et Eric Blanchart, je vous avais raconté comment Darwin avait creusé la prairie de son oncle et avait observé une fosse ou plutôt un profil de sol et le travail des vers de terre.

Nous en avions conclu que Darwin était un précurseur dans l’émergence de la discipline pédologie (ou science du sol). Il regardait le sol comme nous le faisons aujourd’hui en décrivant différentes couches (ou horizons). Ces horizons se forment et se différencient au fur et à mesure que la roche s’altère et que le sol s’approfondit. On parle là de pédogénèse. Darwin a tout de suite pris en compte le rôle du biologique – dans son cas, les vers de terre – dans ce processus de formation. L’action des vers de terre permet l’enfouissement d’éléments de surface, dans son cas, c’était des briques.

Cette prise en compte du biologique dans la formation du sol était-elle vraiment nouvelle ?

Quand il débute ce travail, on est en 1837. Personne n’avait alors soupçonné que des animaux aussi petits pouvaient avoir une importance aussi grande pour un écosystème aussi important pour l’humanité que le sol. Darwin est le premier écologue du sol et il présente toute sa pensée à ce sujet en 1881 dans l’ouvrage intitulé :

La formation de la terre végétale par l’action des vers de terre, avec des réflexions sur leurs habitudes.

Racontez-nous un peu cet ouvrage ?

Au-delà du chapitre sur la formation du sol, il s’intéresse par exemple aux capacités mentales des vers de terre.

Aux capacités mentales ?

Oui, Darwin a fait de nombreuses expériences sur ce sujet. Il a, par exemple, montré que même sans yeux, les vers de terre distinguaient la lumière de l’obscurité. Ils se retirent souvent rapidement dans leur trou quand ils sont fortement éclairés. En revanche, sans capacité auditive, les vers de terre ne sont sensibles ni aux cris, ni aux sons du piano. Ils sont sensibles aux vibrations car ils réagissent lorsque le pot est posé sur le piano. Mais surtout Darwin s’interroge sur l’intelligence du ver de terre. Pour étudier ce problème il va faire des dizaines, voire des centaines d’expériences, en donnant à manger au ver de terre des feuilles végétales ou des triangles de papier de différentes formes pour voir comment le ver de terre les enfouira dans son terrier : est-ce par la pointe du sommet ou par la tige ou par l’angle du papier le plus aigu ? Et, à sa grande surprise, statistiquement, selon la forme des feuilles, le ver va choisir le côté le mieux adapté à un enfouissement aisé dans ses galeries de sol. Il en conclue que « le ver a une certaine intelligence ».

Ou le sens pratique !

Darwin démontre également que les vers de terre ne sont pas nuisibles. Il est utile pour l’agriculteur. En creusant ses galeries, le ver de terre ne fait pas autre chose que de labourer le sol. Il remonte des éléments nutritifs pour les plantes, enfouit légèrement les graines, ainsi indisponible pour les oiseaux, il peut aussi aérer le sol et surtout libèrer de l’azote pour les plantes ! D’où son rôle agronomique de premier plan.

Mais ce qui passionne Darwin, et il en fera une quantité d’expérience, c’est la capacité des vers à enfouir des objets.

Et la vitesse d’enfouissement mesuré ?

De l’ordre de 5-10 mm par an. Ce n’est pas énorme, mais c’est tous les ans. Certaines ruines, objets historiques, ont été enfouies grâce au travail des vers de terre et ont été ainsi protégées dans les sols, protégées des intempéries mais surtout des pillages. Après l’agriculteur, le ver de terre est aussi l’ami des archéologues.

Cet animal assez simple, en gros, un tube digestif mouvant,… a passionné le père de la théorie de l’évolution, jusqu’à lui faire devenir un des pères de la pédologie !

Dans cette histoire, je ne sais qui est le plus incroyable : le vers de terre ou Darwin ?

Les deux ! Darwin aura fait progresser magistralement la connaissance des sols en mettant l’accent sur le rôle des êtres vivants. Il aura aussi changé le statut social du ver de terre qui était considéré comme nuisible et atrocement gluant, et qui, après Darwin, devient le plus grand ami de l’humanité et le logo de toutes les agricultures écologiques !

Entretien réalisé par Laurence Aubron.