Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Aujourd’hui vous vouliez reprendre sur la respiration du sol. La dernière fois, nous avions compris que le sol respire grâce aux microorganismes du sol.
Effectivement les microorganismes du sol respirent comme vous et moi. Ils consomment matière organique et oxygène du sol et rejettent du CO2 dans l’atmosphère. Ils participent donc activement aux échanges gazeux entre le sol et l’atmosphère. Les plantes via la photosynthèse captent du CO2 dans l’atmosphère, fabriquent de la matière organique qui, à leur mort, constitue un stock de carbone dans les sols. Ce stock reste plus ou moins longtemps dans le sol car une partie est consommée par les microorganismes et repart sous forme de CO2 dans l’atmosphère. C’est le cycle du carbone.
Est-ce que l’on cherche à garder le plus possible de carbone dans le sol pour éviter qu’il ne s’accumule dans l’atmosphère ?
Oui et non car la respiration des microorganismes s’accompagne du recyclage des minéraux contenus dans cette matière, minéraux qui ainsi rendus disponibles pourront alimenter les plantes. Donc comme souvent c’est un équilibre à trouver entre respiration et stockage de matière organique.
Est-ce que leur activité dans les sols se bornent à respirer ?
Et à maintenir ou accroitre leur population. En phase de croissance, les microorganismes permettent au carbone essentiellement apporté par les plantes d’interagir avec les argiles du sol et de se stabiliser dans le sol. Le carbone ou la matière organique du sol est pour une grande part ancienne de plusieurs dizaines voire centaines d’années sous une forme microbienne.
Ce qui signifie que les microorganismes sont responsables à la fois du stockage de carbone et de sa perte sous forme de CO2 ? C’est ça, ce n’est effectivement pas simple.
Oui c’est ça ils s’alimentent en carbone pour croitre, mais pour cela ils ont besoin d’énergie et donc de respirer. Certains microorganismes sont plus efficaces que d’autres. Le cout énergétique de leur maintien et de leur croissance diffère selon le type de microorganismes et selon leur capacité à s’adapter à leur environnement changeant. L’équilibre entre croissance et respiration est souvent mis à l’épreuve quand les conditions changent, par exemple avec une modification du climat.
Parce que les microorganismes sont sensibles au climat ?
Bien sûr, tout petits soient ils connaissent eux aussi du stress et n’y sont pas tous uniformément sensibles.
Un stress que l’on peut mesurer ?
Que l’on peut apprécier oui. Quand la température augmente à plus de 40°C par exemple, les microorganismes respirent beaucoup alors que leurs taux de croissance diminuent. Ils sont bien moins efficaces pour maintenir leur population. On peut dire en quelque sorte qu’ils sont stressés par la température. De même dans un milieu appauvri en azote, ils ne disposent pas de la ressource pour constituer leurs protéines. Carencés, leur croissance est réduite mais ils continuent de respirer.
Et si on croise différents facteurs : température, humidité, ressource comme l’azote, comment réagissent les microorganismes ?
Très bonne question, Laurence, vous feriez une très bonne chercheuse ! Ce sont exactement les questions que l’on se pose. Comment les microorganismes vont réagir selon le type de culture, selon sa conduite, avec des engrais ou pas d’engrais ? et avec des changements climatiques ? Beaucoup d’incertitudes persistent. Gabin Piton, chercheur à INRAE à Montpellier, avec qui j’ai écrit ces 2 chroniques sur la respiration du sol s’intéresse justement aux effets du climat sur l’activité des microorganismes. Comment la température et les précipitations accélèrent ou ralentissent la respiration des microorganismes du sol ? leur croissance ? et l’équilibre entre ces processus. Il cherche également à comprendre comment ces microorganismes vont s’adapter au futur climat. Est-ce que les espèces microbiennes et les équilibres entre elles vont se modifier ? Ce n’est pas anodin, parce qu’on a vu tout à l’heure que différents microorganismes peuvent avoir des effets différents sur les échanges de C entre le sol et l’atmosphère.
Et donc sur le climat ?
Et donc sur le climat ; car les sols sont le puits principal de CO2 des écosystèmes terrestres. Ils contiennent jusqu’à trois fois plus de carbone que toute la végétation de la planète. Et c’est le comportement des innombrables populations de microorganismes du sol, ainsi que leur réponse aux nombreux stress qu’on leur inflige, qui régule leurs effets dans le sol et sur le climat. Et aujourd’hui, une importante question qui continue d’occuper les scientifiques, est d’évaluer l’adaptation de ces microorganismes au climat futur et de savoir si elle va accentuer les déséquilibres en cours ou au contraire peut les atténuer.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.