Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Aujourd’hui vous vouliez revenir sur les solutions technologiques pour stocker du CO2
Oui Laurence, nous avons déjà parlé des solutions disons agricoles, ou basées sur la nature, et des solutions technologiques. Vous vous souvenez, j’avais comparé rapidement les volumes de stockage potentiel de carbone sous forme de matières organiques dans les sols ou sous forme de CO2 dans les sous-sols, par exemple dans d’anciens gisements d’hydro carbure. Des volumes comparables à l’échelle nationale autour de 20 à 30 MtCO2/an avec des couts moyens jusqu’à trois fois plus faibles pour les solutions « matière organique sol » que pour les solutions techno « CO2-sous sol ».
Si je me souviens bien il y a dans ces deux solutions des incertitudes sur la faisabilité et surtout sur la pérennité des stockages. Il existe d’autres solutions ?
Oui il reste une autre solution technologique qui concerne les sols. Peu développée, assez chère de 8 à 180 dollars la tonne de CO2 évitée, mais étant donné la fourchette de prix que j’ai trouvée, il reste encore pas mal d’inconnue. Cette solution propose de stocker du carbone sous forme inorganique dans les sols. Elle propose d’épandre sur les sols agricoles ou forestiers de la poudre de roche. L’idée est de favoriser l’altération de cette roche réduite en poudre, altération au cours de laquelle il peut y avoir captation de CO2 pour former du calcaire.
C’est-à-dire ?
L’altération naturelle d’une roche telle que le basalte ou une roche silicatée riche en feldspath ou en tout cas riche en calcium piège du CO2 atmosphérique sous forme de calcaire (CaCO3). L’altération va enrichir la solution du sol en calcium (Ca), calcium qui sous certaines conditions peut s’associer au CO2 pour former du CaCO3, du calcaire.
Naturellement ? et c’est bien ça d’avoir plus de calcaire dans les sols ?
Si le sol est acide, comme par exemple dans de nombreux sols tropicaux, l’amendement peut être bénéfique. L’altération ne libère pas que du calcium, elle libère aussi d’autres éléments minéraux. Les partisans de cette technique mettent en avant ces co-bénéfices, apport de micro-nutriments, remonté du pH de sols acides, meilleure structure du sol…On peut même faire l’hypothèse qu’amendé par cette poudre de roche, le sol devienne plus fertile, et par conséquence favorise la production végétale et donc potentiellement le stockage de carbone dans les sols aussi sous forme de matière organique
Mmm… ça a l’air trop beau pour être vrai, non ?
Honnêtement, difficile de se faire une idée tranchée. Il n’existe pas beaucoup d’études de cette technique plus ou moins naturelle. Et pour répondre à votre question de tout à l’heure : si l’altération est naturelle, l’apport de poudre de roche l’est moins. Réduire une roche, ou des déchets miniers sous forme de poudre demande de l’énergie, tout comme son transport et l’épandage lui-même. Je n’ai pas trouvé de bilans C chiffré de toute la filière, préparation sous forme de poudre, transport, épandage et finalement piégeage de CO2
En ce qui concerne les bénéfices pour le sol, comme souvent ça dépend. Ça dépend du sol mais surtout de ce que l’on épand, les déchets miniers peuvent contenir des métaux lourds réduisant ainsi les co bénéfices attendus.
Finalement sans étude à long terme, plusieurs questions restent en suspens, sur le bilan carbone de toute la filière jusqu’aux effets à long terme de ces apports sur l’activité biologique des sols. Cette activité biologique en modifiant les équilibres de la solution du sol vont jouer sur la vitesse d’altération de la poudre de roche mais est-ce qu’à terme on ne va pas modifier cette biologie également ?
Alors comment conclure ?
Que la solution de réduire nos émissions doit rester une priorité. Aussi on peut conclure que les sols font définitivement partie des solutions pour lutter contre l’augmentation en CO2 de l’atmosphère. Plusieurs solutions existent basés sur le fonctionnement naturel des sols que la technologie ou leur gestion stimulent.
Des incertitudes persistent et en tant que chercheur je ne peux que dire qu’il faut soutenir l’acquisition de connaissances et de données pour se faire une idée objective de toutes les solutions proposées et ce dans différents contextes et sur long terme.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron