Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.
Alors de quoi allez-vous nous parler aujourd’hui ?
Aujourd’hui, je me fais le porte-parole de collègues, spécialistes des vers de terre.
Il y a des spécialistes de vers de terre ?
Bien sûr, ce sont des écologues des sols. Sylvain Gérard, qui a co-écrit cette chronique est un étudiant en doctorat avec Mickaël Hedde, directeur de recherche à l’INRAE. Ils travaillent sur un sujet original. Nous l’avons abordé rapidement la semaine dernière, l’érosion de la biodiversité des sols.
Oui, vous nous disiez que parallèlement à la crise de la biodiversité au-dessus des sols, il y avait probablement une réduction drastique de la biodiversité des sols.
C’est ça, un quart de la diversité connue de notre planète se trouve dans les sols, et pourtant l’évolution de ses populations reste très peu connue. Des organismes devraient notamment retenir notre attention : les vers de terre. Appréciés par les agriculteurs et agricultrices, mais aussi par les jardinier·ères pour leurs bienfaits sur les sols, ils sont parfois appelés les « ingénieurs des sols ». Ils recyclent la matière organique morte, aèrent les sols, permettent une meilleure infiltration de l’eau grâce à leurs galeries. C’est ce qu’on appelle la bioturbation.
Je ne comprends pas le lien entre biodiversité et vers de terre. Il existe plusieurs espèces de vers de terre ?
Oui bien sûr, il existe environ 200 espèces de vers de terre différentes en France. C’est grâce au travail de Marcel Bouché que l’on connaît ce chiffre de 200 espèces. Chercheur à l’INRA, il a réalisé dans les années 1960 un travail colossal : un échantillonnage des vers de terre dans plus de 1300 localités en France métropolitaine. Il a rassemblé toutes ses données dans son livre « Lombriciens de France » paru en 1972. Pour chaque localité, les espèces collectées et des données sur la composition du sol ainsi que les coordonnées GPS des lieux sont indiquées.
Vous avez dit les espèces collectées, c’est donc qu’il y en a plusieurs au même endroit ?
Exact, cet inventaire est un inventaire de communauté de vers de terre. L’échantillonnage consiste à sortir 6 monolithes de sol par site, c’est-à-dire 6 cubes de sol d’à peu près 25 cm de côté dans une parcelle et de trier manuellement les vers de terre. En moyenne, il y a 4 à 5 espèces différentes par parcelle.
J’imagine que Sylvain Gérard retourne dans ces 1300 localités pour étudier l’évolution de ces communautés ?
Parfaitement mais il ne réalise pas cet énorme travail tout seul. Il travaille au sein du projet #Vers2022 dont l’objectif est de comprendre comment les communautés ont pu changer en 50 ans. Étant donné l’ampleur de la tâche, ce projet associe citoyens et scientifiques partout en France. Près de 300 localités ont été ré-échantillonnées à ce jour.
Et vous avez déjà des résultats ?
Oui et les premières analyses ont d’ailleurs montré un résultat surprenant. La diversité à l’échelle locale ne semble pas avoir changé. Sur chacun des sites échantillonnés, on trouve toujours en moyenne 4 à 5 espèces. On a donc des communautés qui ont la même richesse en espèces aujourd’hui qu’il y a 50 ans.
C’est rassurant !
Oui et non, car si on change d’échelle, on se rend compte que les sites, même lorsqu’ils sont éloignés géographiquement, sont de plus en plus similaires. Si le nombre d’espèces qui composent les communautés n’a pas baissé, la diversité entre communauté s’est réduite. Elles partagent plus d’espèces en commun.
On parle d’homogénéisation des communautés.
Comment expliquer que les communautés se ressemblent de plus en plus ?
2 hypothèses sont possibles soit une arrivée d’espèces exotiques qui compenserait la disparition d’espèces autochtones. Soit les espèces communes deviennent de plus en plus communes et prennent la place des espèces rares, pour qui les conditions ne sont plus favorables. Et c’est justement ce que l’on a observé avec les données de #Vers2022 : le nombre d’espèces rares a diminué et le nombre d’espèces communes a augmenté.
Ainsi, au niveau local, le nombre d’espèces collectées ne change pas, mais au niveau régional et national, le nombre d’espèces diminue. Sur les 300 localités échantillonnées, Sylvain a trouvé 104 espèces différentes alors que Marcel Bouché il y a 50 ans en avait observé 111. Ce résultat est cohérent avec la crise de la biodiversité que l’on observe à l’échelle de la planète.
Pas facile pour un jeune doctorant d’avoir de mauvaises nouvelles sur la biodiversité à annoncer.
Mais ces résultats inquiétants sont aussi accompagnés de résultats encourageants. Malgré l’échantillonnage monumental de Marcel Bouché, le projet #Vers2022 a permis de découvrir 20 nouvelles espèces qui vont pouvoir compléter la liste des espèces de vers de terre de France.
Le projet #Vers2022 recherche encore des volontaires pour sa dernière campagne je crois ?
Oui, la campagne en cours prendra fin en avril 2023. Il est donc encore temps d’être un terrien concerné et de participer. Si cela vous tente, vous pouvez contacter Sylvain Gérard dont les coordonnées seront renseignées sur la page web de cette chronique.
Adresse mail suivante : sylvain.gerard@supagro.fr
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.