Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.
Après votre dernière chronique sur notre santé, vous vouliez nous parler de celle des sols aujourd’hui. Alors qu’est-ce que la santé des sols et quelle différence avec la qualité des sols ?
Pour commencer je voudrais remercier 2 collègues du Cirad et de l’IRD Cécile Bessou et Alain Brauman qui m’ont aidée à écrire cette chronique difficile. En effet, la définition de la santé ou de la qualité des sols est délicate. La qualité du sol a toujours été importante notamment pour les agriculteur·rices. Et un sol de qualité était d’abord un sol fertile. Mais progressivement, le sol a pris une place, je dirais même qu’il a repris sa place, au cœur des écosystèmes et des questions environnementales. On a alors parlé davantage de qualité du sol que de fertilité. Le sol n’est plus considéré comme un simple support de production agricole, mais comme un milieu vivant dont l’état et le fonctionnement détermine certes la production, mais également d’autres services telle que la filtration de l’eau, la lutte contre les inondations et les changements climatiques, des habitats pour la biodiversité, une source d’antibiotiques comme on l’a vu dans la dernière chronique. On préfère aussi un sol et une herbe de qualité pour installer la nappe du pic nique ! Plus les sols fonctionnent bien, plus nous terriens, terriennes, nous profitons de ses services.
Et la santé des sols alors ?
La santé des sols est un concept plus récent. Sans doute pour des questions de communication. Quel terme, quel narratif pour accrocher le plus grand nombre aux questions essentielles d’environnement ? La métaphore de la santé de l’environnement, et des sols, est, disons, pratique pour faire passer des notions complexes de systèmes socio-écologiques et d’équilibre entre les différentes composantes de ces systèmes. Bref, c’est un terme holistique, dynamique et qui sonne bien. Mais comme toute métaphore, cette image de santé pour un sol peut être controversée, mais on n’ira pas sur ce chemin-là.
Oui parce que la santé des sols, même si on ne sait pas bien ce que cela recouvre exactement, cela parle à tout le monde. On se sent concerné.
Et c’était bien l’objectif. Ce terme provoque la discussion et les échanges. Et puis, il est particulièrement intéressant pour les sols, car il fait écho aux organismes vivants dans les sols et aux soins à apporter en cas de problème.
Justement quels peuvent être ces problèmes, quels sont les symptômes d’un sol malade ?
Vaste question, car en plus des symptômes, il faut aussi définir ce qu’est un sol malade… Les scientifiques plutôt que de parler de symptômes vont parler d’indicateurs. Mais c’est un peu la même logique. Un indicateur est un paramètre que l’on peut mesurer et qui donne une information indirecte, comme le font les symptômes, tels que la fièvre par exemple.
Les indicateurs de qualité ou de santé des sols sont nombreux et il y a pléthore d'articles scientifiques et techniques proposant des listes plus ou moins longues : le pH, le taux de matière organique ou de carbone du sol, la teneur en azote, la vitesse d’infiltration, la stabilité des agrégats de sol, la biomasse microbienne du sol ... Ces indicateurs peuvent être des paramètres physiques, chimiques ou biologiques. Ils sont plus ou moins faciles à mesurer et plus ou moins indicateurs, c’est-à-dire plus ou moins sensibles à un dérèglement. À vrai dire, le sujet fait toujours débat. Il fait toujours débat, car il n’y a pas de vérité absolue.
C’est-à-dire ?
La vérité absolue pour un sol n'est pas envisageable. Les propriétés, les usages, l’historique des sols sont très différents d’un endroit à l’autre de la planète. La valeur et la sensibilité des indicateurs ne sont donc pas identiques d’un sol à l’autre. On ne connaît pas d’indicateur ou symptôme « universel » comme pourrait être la fièvre chez l’homme·la femme. En bref, on s'intéresse à la santé d'un sol dans un contexte donné, c’est-à-dire pour un climat, un type de sol et un usage donné et non à la santé du sol en général.
Donc c’est-à-dire qu’il y a autant de contextes « climat, type de sol et usage de sol » que de santé des sols ?
Eh bien, c’est un peu ça oui … vous imaginez alors le nombre de données de référence nécessaires pour interpréter les valeurs de tous ces indicateurs selon le contexte et donc les nombreux débats scientifiques que cela peut engendrer.
Pour revenir sur la métaphore de la santé et de la maladie, l’objectif de ces valeurs indicatrices est d’évaluer des fonctions clef du sol, par exemple « le recyclage des nutriments indispensable pour la croissance des plantes », la « séquestration du carbone dans le sols », « la filtration de l’eau ». Et bien souvent, pour évaluer une fonction, il est préférable d’avoir une batterie d’indicateurs plutôt qu’un seul. L’établissement de cette batterie d’indicateur et son analyse est là encore source de débat entre le cout de ces analyses et leur pertinence dans l’évaluation.
Mais même si on n’a pas de mesures chiffrées, on n’a pas une petite idée de la santé de nos sols ?
Si bien sûr, il n’est pas toujours nécessaire d’évaluer précisément une batterie d’indicateurs pour avoir une idée des effets de telles ou telles pratiques. Mais leur évaluation permet d’en comprendre les effets sur le fonctionnement du sol et éventuellement de les piloter voire pour certaines de les interdire pour soigner nos sols.
Oui, car des sols en forme, il n’y en a pas tant que ça ?
Exactement, pour finir j’aime bien cette image… Prenez une pomme, un peu aplatie aux pôles. C’est notre planète. Vous en enlevez les trois-quarts. Ce sont les mers et océans. De ces terres émergées vous n’en gardez qu’une grosse moitié. La moitié perdue, ce sont les déserts trop chauds ou trop froids, les terres très pentues en haute montagne, là où personne ou presque ne vit. De ce qu’il vous reste, vous en enlevez au moins 30 %, ce sont les terres dégradées, en mauvaise santé. Bon maintenant, vous épluchez votre petit morceau de pomme et surtout gardez bien l’épluchure. Regardez-la bien, elle représente les sols de notre planète. Les sols sur lesquels on peut compter pour vivre. Les sols dont je vous raconte tout ce qu’ils abritent et tout ce qu’ils peuvent apporter à nous terriens. Vu la taille de l’épluchure que vous tenez au bout de vos doigts, vous comprendrez bien qu’il est nécessaire
De les protéger !
Oui et d’évaluer leur qualité ou leur santé de manière à adapter tous les usages que nous en avons de l’agriculture au développement de nos infrastructures. L’urbanisation et l’agriculture n’ont évidemment pas besoin de la même qualité de sols. Tout l’enjeu maintenant est de mesurer ces différentes qualités, d’avoir des mesures et des points de repère pour pouvoir les utiliser au mieux tout en préservant un maximum en bonne santé sur le long terme. Ainsi, comme dans beaucoup d’autres domaines, les données sur les sols et leur interprétation sont un gros enjeu en sciences du sol dont on reparlera sans doute !
Documentation : https://www.ird.fr/sites/ird_fr/files/2023-02/Fiche_SciDur_72%20Brauman.pdf
Entretien réalisé par Laurence Aubron.