Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Aujourd’hui vous souhaitez dans cette chronique parler de racines ?
Oui Laurence, aidée par Frédéric Rees, chercheur à l’INRAE, je vais aujourd’hui aborder les multiples rôles des racines dans le fonctionnement des sols.
Vous voulez dire du rôle des racines dans le fonctionnement des plantes…
Bien-sûr, vous avez raison, les racines rendent avant tout service à la plante, mais pas uniquement comme on va le voir aujourd’hui. Donc premièrement, pour schématiser, les feuilles des plantes récupèrent du carbone dans l’atmosphère grâce à la photosynthèse, tandis que les racines s’occupent de récupérer de l’eau et des minéraux dans le sol. Les racines sont la zone d’échange entre la plante et le sol, et ce depuis l’origine, il y a un demi-milliard d’années, lorsque les plantes ont commencé à coloniser la surface terrestre et que les premiers sols sont apparus.
Les sols sont apparus en même temps que les racines ?
Oui, et on peut même dire qu’ils sont apparus grâce aux racines ! Dans les mers ou les lacs, les plantes n’avaient aucune difficulté pour puiser eau et minéraux. Mais une fois parvenues à la surface, assoiffées et affamées, elles ont dû développer une nouvelle stratégie et des racines ! Dans ce nouvel environnement, les racines permettent aux plantes de s’ancrer, au lieu d’être ballotées par le vent, et de développer une vaste zone d’exploitation pour obtenir eau et minéraux, tout en contribuant à la formation des sols tels qu’on les connait aujourd’hui.
Mais comment les racines permettent-elles de créer des sols ?
On a déjà vu que les sols se forment grâce à la transformation, l’altération des roches. Les racines sont un excellent outil pour ça ! Elles peuvent libérer des protons et des composés organiques capables d’attaquer chimiquement la roche et de dissoudre les éléments dont les plantes ont besoin, comme le phosphore et le potassium. Elles ont aussi une action mécanique, elles compressent, elles assèchent, elles agrègent, elles fragmentent le milieu et créent même de nouvelles phases minéralogiques, comme des argiles.
D’accord, mais les algues ou les mousses vertes qu’on voit parfois à la surface des rochers en montagne, elles altèrent aussi les roches, n’est-ce pas ? Pourtant, elles n’ont pas de racines, si ?
Oui, vous avez raison Laurence, les mousses ou les lichens sont dépourvues de racines et altèrent également les roches. Elles sont des espèces pionnières, les premières à coloniser la roche et altérer sa surface. Ceci dit, à elles seules, elles ne pourraient pas former des sols de plusieurs dizaines de centimètre de profondeur. Lorsque les plantes vasculaires s’installent sur ce mince tapis, elles développent des systèmes racinaires beaucoup plus efficaces. Des systèmes qui vont pénétrer dans la moindre anfractuosité et créer une gigantesque surface d’échange. Par exemple, un gramme de racines de blé correspond à plusieurs centaines de mètres carré de surface d’échange avec le sol, et même davantage si on prend en compte les poils racinaires, qui démultiplient la surface de contact.
Les racines ont donc des poils…
Oui oui des poils très fins qu’elles perdent au cours du temps. En fait, les racines libèrent toutes sortes de matières organiques dans le sol pendant leur vie. C’est ce qu’on appelle la rhizodéposition. Il y a des échanges permanent entre sol et racine. Les racines extraient de l’eau et des minéraux du sol, et en échange, elles injectent des matières organiques qui constituent la ressource de base de nombreux organismes du sol. Les racines nourrissent la plante, mais aussi le sol autour d’elles. Ce transfert de matière ou de carbone est loin d’être négligeable. Environ un tiers du carbone qui arrive aux racines après avoir été capturé par les feuilles s’échappe sous forme de rhizodépôts dans le sol.
Mais la plante a intérêt à faire ça ?
Oui, alimenter la vie du sol permet d’accélérer le recyclage des nutriments. Les racines, en nourrissant des bactéries et d’autres organismes, peuvent donc espérer un « retour sur investissement » sous forme de minéraux favorables à leur croissance.
Donc ces zones de libre-échange entre racines et sol, c’est du gagnant-gagnant ?
Je ne sais pas si on peut parler de libre échange, car beaucoup d’acteurs sont impliqués et il existe des régulations, mais en tout cas oui, il est bénéfique pour la plante, pour le sol, et même pour toute la planète. Car ce carbone organique libéré par les racines participe au stockage de carbone dans les sols. Les racines par leur nature et leur activité stockent naturellement du carbone issu de la photosynthèse dans les sols et limitent en partie l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère. On a donc intérêt à favoriser ces processus racinaires en agriculture.
Et qu’est-ce qu’on attend pour le faire ?
Et bien Frédéric Rees avec qui j’ai écrit cette chronique et nos chercheurs y travaillent. Mais comme tout, ce n’est pas simple. Il faut gérer les compromis entre rendement, production de grains et production de racines… et puis pour des raisons très pratiques de recherche observer et quantifier des transferts de carbone entre racines et sol, c’est encore assez compliqué !