Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.
Vous vouliez nous parler de protection des sols aujourd’hui ?
Oui, de protection des sols d’un point de vue juridique. Est-ce que nos sols sont protégés par le Droit ?
Je n’ai bien évidement pas écrit cette chronique seule. Maylis Desrousseaux, Juriste et Maitresse de conférence en droit de l’environnement au CNAM du Mans m’a beaucoup aidé.
Est ce que nos sols sont inscrits en tant que tel dans nos lois ? On a déjà entendu parler de Droit de l’eau, de Droit de la mer, sur la qualité de l’air aussi je crois. Il y a bien le droit du sol mais c’est tout autre chose. Notre droit ne protégerait-il pas les sols ?
Eh bien cela dépend à qui on pose la question. Un aménageur urbain va dire que si, car il ne va voir que les contraintes environnementales que lui impose le code de l’urbanisme. Un écologue au contraire va vous faire remarquer que les sols sont très peu étudiés dans les études d’impact des projets. En fait le sol, en tant que tel n’est pas un objet de droit. Il n’a pas de définition propre pour rendre compte de sa qualité écologique. Il n’y a pas de norme qui parte du sol. Il n’est spécifié dans les textes juridiques qu’à travers ses usages ou indirectement, lorsque d’autres enjeux de protection sont présents.
C’est dingue, nous terriens si dépendant de nos sols, nous ne le protégeons pas en tant que tel ?
Non, ni en 2014 avec la proposition d’une directive cadre européenne de la protection des sols qui a échoué, ni en 2016 avec la proposition d’intégrer les sols à la liste des éléments constitutifs du patrimoine commun de la nation lors de l’adoption de la loi pour la reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages, les sols n’ont fait l’objet d’aucune protection juridique propre.
Qu’est ce qui coince ? Pourquoi le droit est-il si peu terrien ?
Sans doute parce que les législateurs voient davantage les propriétaires terriens que les sols qu’ils possèdent. Le foncier et le droit de propriété sont très enracinés dans nos sociétés et sont des freins politiques à l’évolution du droit sur le sol. La dimension collective du sol n’est pas évidente. Quelque part on a dans l’idée que chacun peut faire ce qu’il veut de sa terre.
Pourtant on ne peut quand même pas faire tout ce qu’on veut ? Si ?
Non, il serait faux de penser que les sols ne sont pas du tout considérés juridiquement.
Par exemple dans la loi sur l’eau. La protection des zones humides mentionne la conservation des sols, centraux dans ces écosystèmes particuliers. Dans la directive européenne « habitat » qui protège les habitats naturels de la flore et de la faune, les sols forestiers et des pelouses alpines sont bien décrits et protégés.
Mais cela reste des milieux très particuliers.
C’est vrai, la majorité des sols semble banal. Leurs qualités ne sont protégées que s’ils peuvent avoir des effets sur d’autres éléments de l’environnement ou sur leurs usages. Les sols hydromorphes des zones humides vont être protégés car ils jouent un rôle de rétention d’eau et d’écrêtement des crues. Les sols trop pollués dont la responsabilité environnementale ou sur la santé humaine est manifeste doivent être dépollués. L’enjeu ici reste d’établir la hiérarchie des responsabilités de la pollution, mais c’est un autre sujet.
Il y a-t-il une évolution dans la perception des sols chez les politiques et les législateurs ?
Oui dans le code de l’environnement, la loi biodiversité de 2016 reconnait l’importance des sols. Après énumération des éléments désignés comme faisant partie du patrimoine commun de la nation (l’air, l’eau, les paysages, la biodiversité, etc.), il est dit que « […] les sols concourent à la constitution de ce patrimoine ».
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire… oui ce n’est pas très précis, mais pour une fois les sols sont reconnus comme faisant partie d’un ensemble commun. Il n’est ici pour une fois aucunement question de pollution ou d’usage. Le sol est reconnu comme support constitutif d’un patrimoine. Il est comme un fond de tarte. Sans lui, point de tarte. Même si vous ne voyez que les fruits de la tarte, pour une fois, le Droit a vu aussi la pâte qui fait que l’on peut avoir tout le reste. Il l’a vu mais rien de très précis ou de trop contraignant.
C’est tout ?
Non. En 2018, le plan biodiversité a également un objectif spécifique dont vous avez sans doute entendu parler « l’objectif zéro artificialisation nette ».
Cet objectif s’intègre dans une dynamique internationale, celle de la convention internationale sur les sols dégradés ou encore la dynamique européenne de Zero net land take. La loi climat et résilience et son décret d’il y a tout juste 1 an, en avril 2022, fixent des objectifs et des règles en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols. C’est un bon début, même si la définition de l’artificialisation et surtout de la désartificialisation reste à préciser. Le sol ne se résume pas une surface non imperméable…mais bon, c’est un bon début.
Le plus dur est souvent de commencer.
Et d’ailleurs ce n’est pas fini. J’espère pouvoir faire une autre chronique sur le sujet en juin prochain. Car en juin 2023… dans 2 mois, la commission européenne remet sur le tapis une directive sur la santé des sols the « Soil Health law ».
Pourquoi "remet sur le tapis" ?
C’est une longue histoire qui en 2010 a failli aboutir sur une directive cadre sur les sols mais finalement a échoué. L’ensemble des pays européens n’était pas d’accord. Car toucher au sol, comme le foncier, est délicat. On touche à la souveraineté des pays. Le sujet est éminemment politique. Mais depuis 2010, l’environnement et la communication sur les sols a beaucoup progressé. On peut espérer que les politiques et leur fibre terrienne les aide, nous aide, dans leurs travaux !
Entretien réalisé par Laurence Aubron.